Promenade dans des gorges, notamment celle d’Oppedette.
On criait.
On criait pour faire l’écho.
Et la gorge nouée où nous nous trouvions répondait en bégayant.
Nos cris repoussaient, comme les bras le ferait d’un rideau fermé, comme une brasse dans la mer, ils se frayaient un chemin. Nous avions une place à prendre, la nôtre, et le sentiment d’être exactement là où nous devions être.
Leurs sillages ressemblaient aux fusées d’artifices, ils tapaient en explosant les falaises d’en face, les falaises grises comme de la crème sous le ciel gris comme le pelage des lièvres.
Les caries dans la roche rongée de milliards de pluie sucrée, ça faisait des trous gros, ça faisait des arêtes effilées, et le vent les taillait à coups de fouets, et les martinets qui volaient en cinglant et leurs cris aigus comme de l’acide.
Les chênes persistaient à pousser, ils avaient des feuilles en hiver. Ils avaient l’envie de tout éclater avec leurs poignards au bout des branches, les ballons de baudruche qui passeraient par là, les nuages bas, ils avaient l’envie, et les nuages bas éclateraient en tonnant et ils feraient écho, et c’était beau à voir, l’envie.
On criait pour faire l’écho, on faisait place, on écartait les branches des saules pleureurs, on était encapsulé sous l’atmosphère, un ballon de baudruche. Ça pourrait éclater ça aussi et ce serait beau ça oui, que l’on prenne soudainement toute la place, la place qui nous était dû.
L’écho nous revenait, car ce qu’il y avait de nous dans nos cris devait être avec nous, exactement là où nous devions être. Il rentrait par les oreilles, éclatait, se défragmentait, plongeait dans nos gorges soudain dénouées et crépitait dans notre corps tout entier.
Un peu plus tôt dans la journée, ou un peu plus tard, à un endroit où le soleil était bleu ça je me souviens, nous suivions un chemin de randonnée et nous avions pris d’instinct un petit sentier qui bifurquait, fin comme le cordon pendant d’un paysage qui s’effiloche. Quelque chose, pas quelqu’un, avait pris soin de disposer des ronces et des buissons, ça faisait rideau que l’on écarte avec les bras.
Le cordon s’est joint à la masse, la masse était une montagne, un champignon atomique jaillissait à son sommet. Nous avons gravi les rochers mailles après mailles, à quatre pattes même, parfois, nous détricotions la cote. Ça sentait le thym, on le disait fort, deux tons trop haut sans doute, mais il fallait du bruit, peu importe lequel, un râle, pour dire que c’était beau. On était deux, deux ton trop haut, et, juste en dessous du nuage qui faisait cavité, nous nous sommes abrités, et, l’on s’est éloigné l’un de l’autre d’un commun accord parce que c’était intime. C’était intime ce qu’il se passait, nous étions juste là où nous devions être. Devant nous, il y avait le monde et nos regards s’y frayaient un chemin comme on nage une brasse. Nos yeux battaient, ils battaient les électrons fous, ils les éclataient en poudre d’artifice, et le martèlement nous revenait en échos. L’écho faisait une ligne, d’autres lignes descendaient du ciel, des flancs et de la terre et nous étions des points de fuite.
Au loin des gens escaladaient, on voyait briller les fers qu’ils plantaient dans le roc pour crucifier.
À intervalles réguliers, leurs cordées tissaient des toiles sur les parois inaccessibles. Pour capturer des places vierges. Comme on envoie des gens sur la lune et des satellites aux confins de l’univers. Les grimpeurs fouillaient, et les nids millénaires d’oiseaux rares cachés dans la pierre étaient abandonnés.
Pour une fois, je me disais, que ce serait bien qu’un truc nous échappe, que les parois abruptes pourraient rester inaccessibles, comme la Lune, les confins de l’univers et les oiseaux rares aux taches rouges sur les côtés.
Que ce n’est pas grave, que nous restons à la seule place encore vierge, la nôtre, exactement. Pour ne plus être des points en fuite.
Musique Dimitri Kotas