Esquelbecq est une bourgade de deux mille âmes au cœur de la Flandre française. Elle possède plusieurs attraits : une église moyenâgeuse inscrite aux monuments historiques mais ravagée par les flammes en 1976, puis reconstruite et qui expose à présent maintes statues calcinées comme autant de témoignages de l’ampleur des dégâts, puis, également inscrit aux monuments historiques, le château du XIIIe siècle, joyau de l’architecture flamande avec des jardins accueillant des œuvres contemporaines, l’Yser faisant partie de ce somptueux décor.
Il y a encore la Maison du Bailli, la Fête de la patate, le musée des automates, l’extraordinaire arbre lyre et, objet principal de ma visite, le fait qu’Esquelbecq porte le label de « Village du livre ». Il est l’un des huit en France, le seul au Nord de Paris, à être digne de cette reconnaissance.
Je vous invite à présent à une rencontre au cœur de ce Village du livre qui, malgré la crise du livre avec sa chute assez conséquente de 12% au niveau des ventes, m’a permis de côtoyer un bouquiniste heureux. Il s’agit de Jean-Michel Lalou, un bouquiniste « militant », comme il me le précisa lors de notre rencontre dans son commerce « Des livres et vous » installé sur la place principale d’Esquelbecq.
– Ma passion a toujours été la lecture. Sous toutes ses formes. Livres pour enfants quand j’étais petit, la BD, au lycée tout ce que l’on devait apprendre et puis la découverte d’auteurs inconnus et, surtout, des livres qui nous permettent de voyager, d’aller loin, parce que je suis issu d’une famille modeste… je ne suis jamais allé en vacances, je n’ai jamais voyagé à cette époque, donc les livres m’ont permis d’aller au-delà de la colline. Ensuite, la vie professionnelle ne m’a pas éloigné de la lecture, au contraire ! J’ai fréquenté les bibliothèques, les médiathèques, les foires aux livres, les bouquineries, toujours cet attachement aux livres…
Et puis, un jour, à Esquelbecq…
- … j’ai eu l’opportunité d’ouvrir un commerce de livres. Le projet avec mon épouse était d’ouvrir une librairie associative, trouver un collectif qui pourrait occuper les lieux et proposer au lecteur ce qu’il aime.
Ce projet n’a pas pu voir le jour, néanmoins le couple de passionnés de lecture n’en resta pas là !
- Nous n’avons pas voulu abandonner et nous avons ouvert une librairie traditionnelle, une bouquinerie où nous nous ne proposerions que des livres d’occasion à petits prix sur des thèmes et dans des domaines que nous aimons et que, très modestement, nous connaissons. À savoir, des romans, des ouvrages de philosophie, sur la Nature, des événements politiques, les deux dernières guerres mondiales, la peinture… Ensuite, nous nous voulions aussi être des bouquinistes militants…
Jean-Michel Lalou me mène vers un rayon : celui consacré aux femmes. Sous mes yeux, Gisèle Halimi, Madame Badinter…
- Nous désirons offrir à ceux qui franchissent notre porte une possibilité de se documenter, d’apprendre. Apprendre, toujours apprendre grâce à la lecture.
- Peut-on dire « conscientiser » les gens ?
- Tout-à-fait ! Nous ne sommes pas entre nous, nous ne pratiquons pas l’entre-soi, mais, au contraire, nous allons vers les gens et qu’ils essaient de sortir de la librairie avec un livre qui, s’ils l’ouvrent et le lisent… ils seront peut-être moins bêtes demain (rire). Un livre permet d’entraîner une autre lecture, parfois un partage ou, parce qu’il vous a plu ou saisi, de le donner à quelqu’un. Le livre doit voyager, circuler.
- Comment se porte le livre ?
- Je ne parle que pour moi, je ne peux pas parler pour les autres, je ne suis pas leur porte-parole, mais disons que le Village du livre est ce qu’il est : trois librairies, trois commerce de livres, avec des animations qui, après la crise sanitaire, reprennent. Le Village du livre a été plus florissant à ses débuts, il y a une quinzaine d’années, et petit à petit, l’enthousiasme est retombé. Je crois qu’aujourd’hui, il aurait besoin d’être redynamisé, de sang neuf et de se réadapter à l’époque.
- Vers les jeunes, principalement scotchés à leur smartphone au lieu de tourner les pages d’un livre ?
- Bien sûr, mais cela sont des actions à mener vers les écoles, les lycées, les collèges. Il faudrait des animations dans l’air du temps. Il ne suffit plus d’inviter un auteur pour une soirée de dédicaces. Il faut faire venir un auteur afin qu’il vive plusieurs jours ou semaines dans le village, qu’il se fasse connaître auprès des gens et non pas celui qui redescend un peu de son piédestal…Ce qu’il faudrait, c’est une résidence d’auteurs. Ainsi, ils seraient reconnus comme créateurs. Aujourd’hui, le livre est disponible dans n’importe quel espace culturel d’une grande surface, ce n’est pas sa place ! Le livre a besoin de respect, d’être reconnu… comme son auteur ! On vous présente des auteurs à la télévision, mais qui sont-ils vraiment ? Ce sont des objets comme les livres qu’ils vendent, or le livre est quelque chose qui véhicule une idée, des sentiments, des relations de voyages…
- Vous humanisez le livre !
- Oui ! Il faut le rendre humain, comme il a toujours été. On faisait ses humanités grâce aux livres…
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