« On voit quand même que la population ne va pas bien », déclare la psychiatre Caroline Depuydt, auteure de l’essai Bien dans ma tête grâce aux neurosciences.[1][2]
Dérèglement climatique, COVID, variole du singe, guerre en Ukraine, menace nucléaire, crise sociétale, jeunesse angoissée pour l’avenir…, ce contexte anxiogène peut être atténué par diverses techniques que la spécialiste recommande, tels le yoga, la cohérence cardiaque, la méditation…
Néanmoins, elle préconise un préalable, celui de comprendre la situation : « C’est la première chose à faire, dit-elle, c’est de constater que l’on n’est pas occupé à devenir fou, mais de prendre conscience d’un phénomène et de le mettre un peu à distance. »
C’est une excellente occasion de réécouter Matthieu Ricard, docteur en génétique et moine bouddhiste, qui brossa à mon micro un état des lieux de la société, si j’ose dire.
Une manière de prendre un certain recul face au catastrophisme ambiant, aussi.
Extraits[3] :
– Le message d’amour, parfois sous l’influence du pouvoir, s’est transformé en force d’oppression. L’heure est à la compassion et à la bienveillance. Une organisation de la voix du peuple se met en place ! »
– Ma question tomba aussitôt : « Quel regard d’ensemble jetez-vous sur la société qui monte de plus en plus en violence, selon moi, comme le démontrent les attentats aux quatre coins du monde ? »
– Je vous réponds que, non seulement la société ne monte pas de plus en plus en violence, mais que cette dernière n’a cessé de diminuer depuis cinq siècles de façon spectaculaire et que c’est quand même curieux qu’on ne prenne pas acte de ce fait. En Europe, en 1350, vous aviez environ cent homicides par an pour 100.000 habitants. Cela a été étudié à Oxford et, aujourd’hui, c’est 0,6. Le risque que vous avez d’être tué aujourd’hui en Europe est cent fois moindre qu’il y a cinq siècles.
La violence domestique, par exemple, selon une autre étude, a diminué de moitié vis-à-vis des enfants en vingt ans aux États-Unis, le nombre de victimes moyen par conflit dans le monde, selon deux banques de données (en Suède, à Uppsala, et aux USA) est passé de 30.000 en 1950 à 1.500 à ce jour. Certes, il y a Daesh, le Soudan, la guerre entre l’Irak et l’Iran…, mais prenez tous les conflits du monde réunis et divisez par le nombre de victimes… et la violence ne cesse de diminuer. C’est dû à l’essor de la démocratie, au libre-échange, au statut des femmes qui, quand même, s’améliore, à l’éducation…
Bien sûr, il y a toujours des événements dramatiques, des tragédies, qui se déroulent quelque part dans le monde et, c’est certain, on les voit immédiatement. Cependant, il y a une distorsion de la réalité ! De la même façon qu’un jeune homme ou une jeune femme de 20 ans a vu 40.000 morts violentes à la télévision, cela ne correspond pas à la réalité. »
– Forcément, car c’est davantage médiatisé qu’au Moyen Âge ! » ai-je répliqué.
– Pas seulement ça, car nous sommes naturellement interpellés et l’évolution nous a équipés pour attirer notre attention sur-le-champ par des choses qui sont menaçantes, aberrantes, hors des normes et on oublie la banalité du Bien. C’est-à-dire que, la plupart du temps, la majorité des sept milliards d’êtres humains se comporte de façon décente les uns envers les autres.
Et, quand il y a un certain nombre qui commet des actes barbares, évidemment que ça attire votre attention, à juste titre d’ailleurs, mais on oublie le reste. La plupart du temps, nous sommes des personnes qui se comportent raisonnablement, de manière bienveillante ou décente les unes par rapport aux autres. »
– Si vous aviez un message à lancer à l’Homme, quel serait-il ?
– À l’homme et à la femme, à l’humanité !
– Je mets un H majuscule, bien entendu ! Votre message ?
– Ce serait que nous sommes déjà des supers coopérateurs et que rien ne fonctionnerait sans la coopération, mais que pour faire face aux défis des temps modernes, notamment la précarité au sein de la richesse, les inégalités qui vont croissantes, et, surtout, le grand défi du XXIe siècle, celui de l’environnement, celui de l’avenir des générations futures et de la biosphère, eh bien, il nous faut passer à un stade supérieur de coopération. Donc, vive la révolution altruiste ! C’est ça dont nous avons besoin.
Photo : Matthieu Ricard lors d’une conférence de presse à Bruxelles (Photo Pierre Guelff.)
[1] La Libre Belgique 30 et 31 juillet 2022.
[2] Éditions Kennes.
[3] Le Petit Livre du Combattant pacifiste, Pierre Guelff, Éditions CABAN.
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