Quand j’aime, je le dis. Quand je n’aime pas, je le dis aussi.
De quoi s’agit-il ? Du nouveau roman de Gilles Laporte Les Silences de Julien aux Presses de la Cité.
Ainsi, je n’ai pas du tout aimé Léopold Malard, dont il est fortement question tout au long de cet ouvrage de quelque 456 pages.
C’est le prototype de l’arriviste, doublé d’un égoïsme qui écrase tout sur son passage pour arriver à son but : la gloriole, le paraître, le fric, la suffisance.
Un personnage qui, dans la vie réelle, me fait changer de trottoir.
Il débuta sa carrière professionnelle comme ouvrier dans une usine de pompage-embouteillage, participa aux luttes syndicales, s’y révéla un battant, un agitateur aux yeux des patrons. Bref, jusqu’ici, il m’était très sympathique.
Puis, pour l’amadouer, ces mêmes patrons le firent rentrer dans le rang en lui proposant une formation complémentaire et, comme il était déjà ambitieux, lui qui, adolescent, avait déclaré à son père qu’il voulait sortir « des sentiers merdeux », il mordit avec délectation à l’hameçon que lui tendait la direction de l’usine.
Il reçut une promotion et devint même le fossoyeur de celles et ceux qu’il avait prétendu défendre.
Mais, Léopold n’en avait cure, même quand il eut à ses côtés Marianne, une épouse attentionnée, davantage tournée vers les choses de la Vie qu’un plan de carrière, il avait atteint son premier objectif : diriger, ordonner, décider de « la vie et de la mort de salariés soumis au bon vouloir d’actionnaires dont il assumait désormais les désirs, objectifs et paroles. »
Ah ! Comme il jubilait en se pavanant dans son Alfa Romeo rouge Duetto ! Son père l’avait traité de prétentieux le jour où Léopold lui avait littéralement craché au visage qu’il ne serait jamais paysan puis, quand il débarqua chez ses parents « en costard, mocassins à glands, chemise blanche au col serré par une cravate à rayures à la manière des Anglais… »
Cette rarissime visite à ses géniteurs avait un autre but : « Je suis Léopold Malard, cadre de direction d’une multinationale…, et je veux ma part de l’héritage pour acheter une maison à Roissy, pas loin de l’aéroport et du siège de mon entreprise… »
Le sang du père ne fit qu’un tour : « Fous-moi le camp ! Ta part sera pour ton gosse, ce sera pour lui et personne d’autre ! Dehors ! »
Il faut dire que Léopold avait quitté sa femme et son tout jeune enfant, Julien, pour que rien ni personne ne l’empêche d’accéder à la plus haute marche dans le monde capitaliste.
Il n’en avait rien à faire que Marianne soit aux prises avec une angoisse incommensurable quand son amie, George, infirmière dans un centre psychiatrique, trouva que Julien, 3 ans, devait être vu par de grands spécialistes du comportement.
Il était tout aussi odieux quand le terme « autiste » fut lâché au sujet de son enfant.
Et Marianne de tenter, encore et encore, de sauver ce qui pouvait l’être dans son couple : « Léopold est tellement autocentré, qu’il est juste capable de compliquer le problème, au lieu de le résoudre ! »
Que voilà, donc, une manière bien gentille pour ne pas clamer que Léopold était un sale type !
Bon ! J’en ai suffisamment dit, sans quoi je vais finir par trop dévoiler la suite de ce livre touchant, bouleversant.
Sachez, cependant, que Gilles Laporte est un auteur humaniste et que dans tous les ouvrages que j’ai lus de sa plume, il y a toujours une certaine « morale » qui découle de son récit.
Celle qui explique, argumente, prend du recul, fouille les gens et leurs idées, et, bien entendu, leurs comportements, qui tente, aussi, de comprendre sans pour autant admettre, qui, parfois, réconcilie entre eux les acteurs de son histoire mais, également, le lecteur qui a pris en grippe l’un d’eux, car, dans le fond, même chez les êtres humains les plus abjects, il peut y avoir une minuscule lumière qui surgit dans les ténèbres.
Et puis, Julien, fit aussi des rencontres, disons, « lumineuses », dont un luthier (un personnage récurrent dans les histoires de Gilles Laporte, par parenthèse). Rencontre qui, hasard ou non, fut le résultat d’un geste de… Léopold !
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