dimanche, novembre 24, 2024

Henri Vincenot : « Sur le chemin des étoiles, ouvrir à un humanisme plus large » (2/2)

Henri Vincenot (1912-1985), auteur de romans de terroir, peintre, sculpteur, est considéré comme le « Père de la Bourgogne ». Pour cette deuxième chronique qui lui est consacrée, sa fille Claudine accepta encore de partager avec nous quelques pans de l’existence de l’inoubliable auteur du Pape des escargots, des Étoiles de Compostelle, du Maître des abeilles

« La Bourgogne d’Henri Vincenot, c’est aussi, pour la plupart de ses lecteurs, celle des fameuses émissions de Bernard Pivot « Apostrophes », qui révéla aux téléspectateurs, un beau soir, une image exacte mais partielle, voire réductrice, d’une Bourgogne représentée par un grand-père folklorique, à l’accent du terroir et un tantinet passéiste.

Simple arrêt sur image qui enferme à la fois la Bourgogne et mon père dans le carcan d’une image d’Épinal. On a bien aimé l’émission ce soir-là : c’était facile, drôle, clair et net, sans arrière-pensée ni sens caché et pourtant, la Bourgogne de Vincenot, c’est bien autre chose, de plus subtil, de plus philosophique aussi : par elle, je l’ai compris plus tard, il cherchait à approfondir notre particularité pour nous enraciner et nous projeter en même temps sur le chemin des étoiles, nous ouvrir à un humanisme plus large.

Meursault dessiné par Henri Vincenot.

Cette Bourgogne-là permit à l’homme Vincenot d’y puiser, tel Antée, la force d’aller plus loin, à la rencontre de ses frères humains et à la découverte des forces cachées de Mère Nature. L’œuvre entière de Vincenot (écriture, peinture, sculpture) est la quête du sens à la fois évident et secret du langage des choses et du monde.

Évident pour ceux qui se souviennent encore d’y avoir été initiés par des aïeux paysans ou artisans, Vieux Sages de rencontre. Incompréhensible pour les autres, happés par la grande Babylone impudique décérébrant les plus astucieux et gommant les plus cocasses différences. C’est à ceux-là surtout que s’adresse l’écrivain Vincenot qui a lui-même souffert de cette incarcération en notre capitale bitumée.

Ésotérisme ? Mysticisme ? Intuition du sens caché ?

Mais n’allons pas fantasmer sur ces fameux secrets et nous demander s’il n’y a pas là-dessous quelque société secrète.

Secrets tout simples des grands bâtisseurs qui toujours intriguèrent les hommes et coûtèrent la vie, qu’on s’en souvienne, à Adoniram, l’architecte du temple de Salomon : personnage étrange, indépendant par nature, solitaire par vocation, indifférent aux honneurs et dont la destinée était de courir le monde, toujours appelé là où il avait le devoir de transmettre le message : la bonne formule, la Divine Proportion, clef de l’univers.

C’est, on le voit, le portrait du « Pape des escargots », du Prophète des « Étoiles de Compostelle » et du Mage Balthazar, alias le « Maître des abeilles » …

Tous les héros romanesques qui animent de leurs pèlerinages et autres aventures, les plus célèbres romans bourguignons de Vincenot connaissent faune et flore sauvages, savent déchiffrer les astres et expliquer les signatures des compagnons maçons qui bâtirent les plus belles églises romanes de Bourgogne et d’ailleurs : la spiraler – l’escargot – qui traduit l’ « envirotement[1] » cosmique, la patte d’oie et le triangle, signification arithmosophique du chiffre 3, le sceau de Salomon et ses deux triangles inversés  pouvant évoquer l’interpénétration du monde d’en haut et de celui d’en bas (courants cosmiques et telluriques), du passé et de l’avenir en un ici et maintenant qui seul importe :

 

« Parlez-moi du présent, le présent doré, le présent ensoleillé qui a la figure d’aujourd’hui, et la mine du temps qu’il fait, qui a la saveur du lard qu’on mange, le bouquet du vin qu’on boit et la santé de la femme qu’on aime. »  

 C’est bien celle-là la Bourgogne de Vincenot, terreau du futur et non fief du passéisme, car la tradition, la vraie, est porteuse d’avenir et non stérile repli sur soi.

Pour le plaisir de l’émotion écoutons le pépère Antoine, personnage d’un récit et si proche de mon père qu’il me semble l’entendre monologuer à l’approche de sa mort :

« Je serai léger pour partir car j’ai tout donné ; je n’emporte rien avec moi, j’ai donné mon corps au contact de mes outils (…), je vais demeurer parmi les miens incrusté dans les objets ; de moi partout, de moi toujours. »

Alors, je ne saurais parler de mon père et de sa Bourgogne, sans évoquer sa « brunette d’épouse, chaude comme une petite caille ». Remarquable femme d’artiste, elle aussi nous a tout donné.

Pour moi, mes parents sont les piliers du Temple et la clef de toute chose.

C’est bien cela la transmission, et c’est bien cela aussi la Bourgogne de Vincenot, celle qu’il nous a léguée dans ses écrits, ses tableaux, ses sculptures.

Dans ce sens du dialogue et de l’art d’accoucher les esprits, qui caractérisent mon père, sa Bourgogne m’apparaît finalement et avec évidence être pour chacun de nous une questionnante métaphore.

C’est là ce qui fit le succès littéraire d’Henri Vincenot : il sut, par une simplicité toute de malice sympathique, nous cueillir au creux de nos us et coutumes pour nous conduire plus loin, plus haut sur les chemins de belle plénitude. »

[1] Avoir le viret en patois bourguignon, c’est-à-dire avoir le vertige, tourner comme les planètes dans le cosmos.

Photo : cloître de l’abbaye de Fontenay (Photo Pierre Guelff)

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