jeudi, novembre 21, 2024

Fondation Danielle Mitterrand : « Il faut changer de cette logique financière qui nie tout ce qui est humain »

Lutter contre toutes les injustices et défendre les libertés de chacun. Depuis 35 ans, la Fondation France Libertés-Danielle Mitterrand œuvre à la construction d’un monde plus solidaire. De la lutte contre l’apartheid au droit à l’eau pour tous, Danielle Mitterrand a été aux côtés des sans parole, des sans papier, des sans terre, pour refuser l’irréparable.

Avec Jacqueline Madrelle, vice-présidente de la Fondation Danielle Mitterrand.

« Une insoumise, une rebelle, qui a toujours résisté à toutes les injustices ». C’est le portrait de Danielle Mitterrand que vous nous avez dressé la semaine dernière. Elle s’est engagée dans la lutte pour le droit des peuples. C’est une constante de ses combats. On a évoqué avec vous son action aux côtés des enfants d’Afrique du Sud. Mais il y a eu aussi le Cambodge, le Tibet ou encore le peuple kurde.

« Pour le Tibet, je me rappelle que Danielle Mitterrand était venue à Bordeaux. A l’époque nous avions accueilli Gao Xingjian, un Chinois, qui n’était pas encore prix Nobel de littérature. On l’avait accueilli au Boulevard des Potes, le lieu de SOS racisme. C’est un peintre, un homme de théâtre. Il avait donné une pièce qui s’appelait « Dialoguer, interloquer ». J’avoue que cette pièce était quelque peu hermétique. Et Danielle me dit, « décidemment, je ne comprendrai jamais rien aux Chinois ». Elle a accueilli aussi souvent le Dalaï-lama, pour défendre tous ces peuples opprimés. Il y a eu aussi les Kurdes. C’est la « mère » des Kurdes. Quand il y avait eu le massacre d’Halabja (en 1988), on avait recueilli à l’époque des sommes très importantes qui étaient données par des mécènes, des grandes surfaces. On les a amené dans le bureau de Danielle au Trocadéro pour aider à la reconstruction des écoles au Kurdistan. Elle a aussi mis en lumière cette nécessaire lutte contre l’apartheid, avec les accords de Marly-le-Roi avec les responsables de l’ANC. On lui doit beaucoup de choses. Il y a eu le Chiapas, le Tibet, les Kurdes et toute l’Amérique du Sud. Danielle Mitterrand est souvent plus connue à l’étranger que dans son propre pays en France. C’est le paradoxe. Et elle en jouait. »

Le combat pour la reconnaissance du droit à l’eau

Danielle Mitterrand disait vouloir organiser une alternative à la mondialisation capitaliste. Et elle l’a mise en pratique notamment sur sa défense du droit à l’eau pour tous. Comment ce combat est arrivé ? Pourquoi ce choix ?

« L’eau pour tous, c’est parce qu’elle participait à beaucoup de forum mondiaux dans lesquels on dénonçait que l’eau ne devait pas être une marchandise. Comme elle a toujours dénoncé les ravages de la dictature économique et financière, l’eau en fait partie. C’est la première, à l’époque, qui a dénoncé avant tout le monde qu’il y avait une contradiction entre le statut économique de l’eau et son statut naturel. A partir de cette contradiction, elle a dit que l’eau ne pouvait pas être considérée comme une marchandise et devait échapper à tout statut économique. L’eau est comme l’air qu’on respire. Elle doit échapper à cette marchandise. D’où après l’élaboration de la charte des porteurs d’eau. La Fondation avait un statut consultatif au sein de l’ONU. Et elle a beaucoup bataillé pour qu’il y ait cette reconnaissance du droit à l’eau potable pour tous les peuples. C’est la Bolivie je crois qui, la première en 2010, a fait passer cette déclaration à l’ONU pour cette reconnaissance du droit à l’eau potable. Elle n’est pas encore acquise puisque la France ne l’a même pas mise dans sa Constitution. Il y a encore beaucoup de travail à faire. La Fondation s’est aussi beaucoup engagée, avec Emmanuel Poilane, sur la dénonciation des coupures d’eau avec l’application de la loi Brottes. Il y a beaucoup de choses de faites dans le domaine de l’eau. On le doit d’abord à l’engagement de sa présidente. Elle était venue à Bordeaux pour lancer ce mouvement des porteurs d’eau avec des sportifs de haut niveau. Et à chaque fois sa venue donnait lieu à des moments de grande complicité. Elle était très appréciée et très reconnue par les jeunes notamment. »

© L’eau est un droit

Faire respecter la dignité humaine et le droit à la vie

La biopiraterie, la citoyenneté, le droit des peuples, l’accès à l’eau. Il y a bien un lien entre toutes ces causes, un point commun ?

« Le lien, c’est la révolte contre toutes les injustices, contre toutes les oppressions. Son souhait était de faire respecter les droits de la nature. Nous humains, on fait partie de cette nature. Donc si on détruit cette nature, on se détruit nous-mêmes. C’est le droit à la vie. Elle était toujours animée d’un bon sens extraordinaire, qui manque à bon nombre de politique, un bon sens qui la guidait dans sa vie pour faire respecter la dignité humaine et le droit à la vie. L’eau c’est la vie. Lutter contre les oppressions, c’est lutter pour qu’on ait chacun une vie digne. C’est le droit à la vie, le droit à l’éducation, le droit à la santé, le droit à la culture. Tout ce qui l’a guidée toute sa vie, c’est le respect de la dignité humaine. Donner à chacun d’entre nous une vie digne. »

Changer de monde

Agir, plaider, sensibiliser, ce sont les trois volets de l’action de la Fondation, trois volets voulus par Danielle Mitterrand. Pourquoi sont-ils si importants ?

« 35 ans d’utopie, et 35 ans on le souhaite encore d’utopie. Elle disait que chaque citoyen a le droit d’agir. Si chacun fait sa part, on peut changer le monde. Elle n’aimait pas d’ailleurs cette expression, « on va changer le monde ». On peut changer de monde. Pour les 25 ans de la Fondation, le slogan était juste un monde plus juste. Plaidoyer, c’est l’action de faire connaitre. Et il faut sensibiliser la plus grande partie des citoyens à cette possibilité de changer de monde. C’est très important. »

Changer de monde est un slogan qui résonne beaucoup en ce moment. Quelle voix la Fondation peut encore avoir aujourd’hui ? Comment le message de Danielle Mitterrand peut perdurer, peut se prolonger dans cette période perturbée et alors qu’on nous promet un « monde d’après » différent ?

« C’est d’abord changer de cette logique financière, de cette loi du marché, de cette loi du profit, qui va à l’encontre de la dignité humaine. Il faut montrer que les forces de l’argent, les forces des multinationales, nient tout ce qui est humain. Donc revenir à un monde respectueux de la nature, respectueux de l’humain. La Fondation s’engage dans ce plaidoyer pour la défense du vivant, pour la défense de toutes ces initiatives citoyennes à travers le monde. Elles montrent qu’on peut vivre autrement. Ce monde d’après, il ne faut pas qu’il soit pire que celui d’avant. La Fondation va dans ce sens-là, de respect de la nature, de respect de l’environnement. Il faut absolument changer de logiciel. Et la Fondation est le lieu par excellence pour avancer sur ce terrain-là. »

Pour aller plus loin :

 

 

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