Une cantine pour lutter contre le repli identitaire. C’est l’ambition de la cantine syrienne, soutenue par la Fondation Danielle Mitterrand. Installé depuis un peu plus d’un an à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, cet espace « non-lucratif », est pensé comme un lieu de rencontre et de partages de vies, d’expériences, de cultures…
Rindala est la cofondatrice de ce collectif, fruit d’une série de rencontres en 2018 entre étudiants syriens, exilés en France.
« Il y avait un mouvement d’occupation des facs en France. On s’est demandé comment intervenir dans ce mouvement à partir de notre position d’étudiants exilés syriens. Petit à petit on a pris des contacts, on a discuté. On a fait des rencontres dans plusieurs universités. Quand on a quitté l’université, on a voulu continuer de faire des choses de manière plus stable, sur la longue durée, avec plus de consistance. On a rencontré par exemple des gilets jaunes de Montreuil. A travers ces rencontres diverses, éclatées sur la région parisienne, on s’est retrouvé avec un groupe de Syriens et de Français. L’idée est venue de faire une cantine, déjà parce que la nourriture syrienne nous manque. On voulait se réunir sur quelque chose qui n’est pas que politique, mobilisation, soulèvement, répression. On voulait quelque chose de plus joyeux, d’essentiel, de vie. On a décidé de faire un espace de rencontre et de solidarité. »
Tisser des liens de solidarité
Le collectif a donc créé cette cantine populaire. On y partage un repas convivial, mais pas uniquement.
« Nous, on est loin de notre pays, du contexte politique. Etant donné qu’on est exilé en France, on ne veut pas lâcher ce côté d’être acteur et actrice, de réfléchir la politique, de la faire, de la discuter. Pour cela, il faut trouver notre propre place. On a pensé à des formes de solidarités nouvelles, pas qu’avec des Syriens mais aussi avec d’autres locaux. A Montreuil, les gens qui viennent sont originaires du Maghreb, d’Inde… Ce sont des solidarités, des rencontres avec des étrangers qui partagent les mêmes conditions que nous. Mais c’est aussi avec des Français avec qui on peut réfléchir sur la situation politique et les formes de solidarités et de rencontres possibles ici. »
Et à Montreuil, le lien avec le tissu associatif local est un pan fondateur de la cantine.
« On est installé dans un centre social et culturel qui accueille énormément d’associations et de collectifs. Il y a des cours de français, des distributions alimentaires, des cours de yoga à prix libre, des cours de sports, des rendez-vous administratifs concernant des questions de sans-papier. Il y a vraiment un tissu associatif assez dense. Nous, on voulait s’inscrire localement et tisser des liens avec des gens autour de nous. S’installer dans cet espace a été un énorme avantage pour nous. »
A la rencontre de son voisin
Deux fois par semaine, le repas, préparer et organiser en commun, est surtout le prétexte à la rencontre et à la discussion.
« On invite ceux et celles qui veulent nous rejoindre, pas que pour aider dans la cuisine, mais aussi pour rencontrer d’autres personnes, pour se sociabiliser. Petit à petit, pas mal de gens ont continué à venir. Parce qu’au-delà de la cuisine, ils apprécient énormément ce temps de préparation. C’est un espace de sociabilité assez chouette. Pas mal de gens qui reviennent apprécient ce moment. Parfois ils viennent avec leur potes. Parfois, en entendant les discussions des autres, ça commence à parler. Ce sont des grandes tables de découvertes, à la fois de la nourriture syrienne mais aussi des voisins, des gens qui travaillent dans le quartier. »
Au-delà de la seule Syrie, le lieu offre un lieu de débats pour créer des ponts entre les peuples et les cultures.
« On a des dîners-débats. On invite un collectif, un intervenant. On a déjà fait une rencontre avec les gilets jaunes de Montreuil, une soirée de soutien au soulèvement au Liban. Au printemps, on va organiser une rencontre avec un collectif iranien exilé à Paris. On essaie de ne pas rester sur des thématiques syriennes ou françaises, mais d’internationaliser, de créer des ponts. Montreuil, c’est une ville avec énormément de mixité. On s’inscrit dans ce territoire. Et on veut dire que, pour la lutte, que ce soit ici ou ailleurs, on a besoin de se rencontrer, on a besoin de parler, on a besoin d’apprendre, d’être d’accord et parfois ne pas être d’accord. Mais parlons-en. »
Combattre les préjugés
Et Rindala met en avant le rôle primordial de la cantine : Un moyen de lutter contre le repli sur soi, le repli identitaire, et apprendre à se connaître pour abattre les préjugés.
« Avec la révolution syrienne, il y a beaucoup d’aspects qui sont méconnus, pas mal de préjugés, de conceptions qui sont fausses. Parfois on peut parler discrimination ou racisme. Pour nous c’est important d’expliquer notre point de vue, mais pas de manière idéologique. C’est pour ça qu’on favorise les moments conviviaux autour des activités. On va avoir un ciné-club moyen-oriental, des cours de danse… On est en train de faire de la politique dans le sens où les gens se rencontrent. Ils ont un peu moins peur de cet autre Syrien quelque part très loin. Amener notre point de vue, pas de manière idéologique, politique, avec d’abord la rencontre humaine, c’est une manière un peu plus efficace de combattre les préjugés, les discriminations. Cela nous met moins sur la défensive. »
Soutenue par la Fondation Danielle Mitterrand, la cantine syrienne est en recherche de fonds pour se développer, mettre en place de nouvelles activités et améliorer son fonctionnement. Elle est à retrouver sur leur page Facebook.
Pour aller plus loin :
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