Cela fait 10 ans que l’ONU a reconnu que le droit à l’eau était un droit essentiel à la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme.
Combat majeur de la Fondation France libertés, ce droit à l’eau n’est pas encore pleinement effectif. Mais le contexte politique peut peut-être y contribuer.
- Avec Marion Veber, responsable des programmes à la Fondation France Libertés
On a évoqué la semaine dernière la genèse de cette reconnaissance du droit à l’eau, et de son accès pour tous. Il faut aussi rappeler le combat de la Fondation sur l’interdiction des coupures d’eau en France.
« En France, il est interdit de couper l’eau aux foyers, même si la facture d’eau n’a pas été payée. C’est au regard de la dignité humaine. Sans eau, on n’est plus du tout dans la vie, mais dans la survie. On a des questions d’hygiène et de santé qui vont se poser. Nous avons mené un grand nombre de batailles juridiques devant les tribunaux, que nous avons tous gagnés y compris au Conseil constitutionnel. C’était une bataille pour souligner le folie qu’il y a derrière cette question du droit à l’eau. Aujourd’hui, de plus en plus de droits humains sont conditionnés à la capacité de payer. J’ai droit à l’eau si je peux payer ma facture d’eau. J’ai droit à la santé si je peux payer mon hôpital. Encore qu’en France on est plutôt bien lotis. Mais il y a quand même une tendance à ce que ces droits humains soient conditionnés à cette capacité de payer. On considère que l’eau a un prix et que c’est au citoyen de la payer. On pourrait tout à fait être dans une autre démarche. Certains territoires, certaines villes, sont dans cette démarche où c’est la collectivité qui prend en charge les litres d’eau qui correspondent vraiment aux droits humains, aux besoins vitaux. Ensuite, la facture s’applique aux besoins qui sont de l’ordre du confort. Derrière ce combat des coupures d’eau, c’était de souligner l’absurdité de couper l’eau à des personnes au regard de leur situation économique. Aujourd’hui nous avons une campagne « L’eau est un droit » que l’on mène avec 30 associations en France en lien avec les municipales pour rappeler le pouvoir des villes qui peuvent impulser des concrétisations du droit à l’eau à échelle du territoire. En France, plus d’un million de personnes n’a pas accès à l’eau de manière permanente et correcte. »
Ce droit à l’eau est encore à améliorer. Mais depuis 2017, le sujet est un peu tombé aux oubliettes. Où en est-on ?
Le sujet est tombé au point mort. Cependant, avec le coronavirus, il y a une possibilité de reprendre conscience de l’importance de l’eau. On a vu qu’il y a un lien entre l’eau et la santé. Comment lutter contre un virus quand on ne peut pas se laver les mains, quand on ne dispose pas d’une eau propre ? Cela fait aussi appel à cette question des inégalités en France. L’outremer était d’ailleurs extrêmement mal lotie de ce point de vue-là. Il y a probablement une possibilité de remettre à l’ordre du jour ce type de question et de requestionner la place des droits humains dans nos sociétés et de comment ils peuvent se concrétiser en dehors de toute logique marchande. »
Sortir l’eau de la logique marchande
On sort d’une longue campagne électorale. Les municipales ont vu l’essor de gouvernances vertes, ou d’exécutifs plus « citoyens ». Est-ce que c’est une force pour porter cette question de l’eau pour tous au-devant de la scène ?
« C’est très probable. On le voit dans les programmes et les discours des Verts. Il y a beaucoup de projets liés à la revégétalisation des villes. Qui dit revégétalisation des villes, dit un cycle de l’eau qui se porte mieux. Le cycle de l’eau est intimement lié à la végétation. Cela peut être une première approche de l’eau d’un point de vue environnemental et climatique. Il y a aussi une réflexion sur la remunicipalisation de l’eau. Certaines villes vertes sont plutôt enclines à considérer l’eau comme un commun qui ne peut pas être privatisé. On pense à Grenoble qui a remunicipalisé son eau. Aujourd’hui le maire continue sur cette logique. Grenoble est montrée en exemple. On peut espérer ce genre d’avancée liée à cette fameuse vague verte dont on parle.«
Comment s’inscrit la Fondation aujourd’hui dans ce combat pour le droit à l’eau 10 ans après ?
« L’action est multiple. Il y a ce combat avec la campagne focalisée sur la France. Mais on continue le combat au niveau international pour renverser le statut accordé à l’eau et questionner le rapport qu’on a au vivant. L’eau est centrale dans cette question, puisque l’eau est à la source de toute vie. C’est un plaidoyer qui est fondamental. Si on abandonne cette bataille-là, je pense fondamentalement que rien ne changera. Sortir de cette logique marchande permettrait vraiment d’aller vers des améliorations. On soutient aussi énormément de projets de terrain en lien avec l’eau et le climat. Rendre l’eau à la terre, c’est une façon d’atténuer les effets du changement climatique. On a aussi des projets de dénonciation de projets extractivistes qui mettent à mal le droit à l’eau. L’an dernier, NOTRE LAURÉAT DU PRIX DANIELLE MITTERRAND ÉTAIT UN MILITANT CHILIEN pour le droit à l’eau. C’est aussi une façon qu’on a de lutter pour que ce droit devienne effectif. Au Chili, la relation entre le statut de l’eau et la concrétisation du droit à l’eau est flagrante. L’eau, en tant que telle, y a été privatisée. Des personnes peuvent détenir des droits d’eau et priver d’autres de jouir de leur droit à l’eau. Pendant le coronavirus, encore aujourd’hui, la situation est catastrophique. Ces populations se sont retrouvées sans eau alors que les avocatiers à côté continuaient d’être abondamment arrosés, alors que les activités extractives continuaient de pomper de l’eau. Cela pose la question de la priorité des usages sur laquelle on mène un gros plaidoyer. »
Pour aller plus loin :
- L’eau ne se mérite pas, c’est un droit
- France Libertés : Agir pour rendre le droit à l’eau effectif
- Rodrigo Mundaca, lauréat du prix Danielle Mitterrand 2019
- Droit à l’eau au Chili
Les facteurs bloquant l’effectivité du droit à l’eau
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