Les crises écologique, sociale, économique et politique que nous connaissons actuellement sont-elles annonciatrices d’un profond bouleversement de nos civilisations ?
Ce sont les questions soulevées par de plus en plus de citoyens pour qui changement climatique, épuisement des ressources naturelles, chute de la biodiversité et pollution, condamnent à court terme notre ère industrielle.
Cette réflexion, Corinne Morel Darleux l’a menée dans un livre, « Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce ». La conseillère régionale Auvergne-Rhône-Alpes cherche des moyens pour endiguer le naufrage généralisé.
- Avec Jérémie Chomette, directeur de France Libertés.
Corinne Morel Darleux était l’invité d’un débat le 18 juin dernier, organisé par la Fondation France Libertés. Dans son livre, elle fait le constat, comme beaucoup de théoriciens, que nous sommes arrivés au bout d’un cycle. C’est également votre analyse ?
« C’est un constat assez proche de ce qu’on peut faire. Aujourd’hui, quand on regarde ce qui se passe sur la planète, on a un effondrement de la biodiversité et des espèces. 60% des mammifères ont disparus en l’espace de 40 ans. C’est une extinction dramatique. En même temps on a une montée des individualismes, des extrémismes, qui est très forte, l’arrivée au pouvoir de dictateurs ou de personnes très proches de l’extrême droite, et des inégalités sociales qui explosent. On a un cocktail de plein de crises qui nous font penser que tout cela est systémique et lié à nos modèles de faire société. Avec la fin à venir des énergies fossiles, forcément, nos sociétés étant tellement dépendantes de l’énergie, on s’inquiète. Il nous semble préférable d’anticiper ces changements de société et de proposer une autre société. »
Cet effondrement énoncé par beaucoup est à la fois écologique, économique, politique, sociétal ?
« Oui. Il est clair que sur le plan économique on peut aussi voir un effondrement. Il y a une multitude de facteurs qui, pris individuellement, nous font croire à des moments difficiles. Mais mis bout à bout, on est très inquiet. Et on peut estimer qu’il puisse y avoir un effet boule de neige. Si la biodiversité continue à s’effondrer, on va avoir des gros problèmes de ressources, qui vont avoir un problème sur notre énergie, notre économie et ainsi de suite. »
https://www.facebook.com/Francelibertes/posts/10157172508859156
Est-ce que la montée des extrêmes, l’arrivée des populistes au pouvoir dans certains pays, est aussi un signe de cet effondrement ?
« Oui. Tout est lié. Quand on voit l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro au Brésil, on a une inquiétude très forte avec une dimension très populiste et avec un impact très fort sur nos sociétés. Tout est lié. Il est très lié au monde économique et de la finance, à cette pensée d’une croissance infinie. C’est ce qu’il l’amène à faire des accords horribles avec des entreprises pour déforester ce qu’il reste de l’Amazonie pour développer la croissance du Brésil sur le court terme. Mais ces effets de destruction de l’Amazonie vont être terribles, à la fois au Brésil, mais aussi un peu partout dans le monde. On sait que c’est le poumon de la planète. Donc on ne peut pas juste regarder la dimension climatique ou écologique, sans se poser la question démocratique et d’accaparement du pouvoir. C’est la même chose aux Etats-Unis. Et on pourrait prendre aussi l’exemple de la Chine et d’un planning à long terme de développement productiviste très dangereux. »
Face à cette situation, il y a plusieurs attitudes possibles : se préparer au pire ou agir pour renverser la tendance. Dans son livre, Corinne Morel Darleux entend instaurer la dignité du présent pour endiguer le naufrage généralisé ? Que veut-elle dire ?
« Il ne faut pas se projeter trop loin et se dire, tout va s’effondrer et on ne peut rien y faire. On ne sait pas ce qu’il va se passer exactement. Et si on essaie d’être juste – c’est ce qui fait écho avec l’action de la Fondation et avec Danielle Mitterrand qui parlait de l’importance d’être juste, faire ce qui est bon pour l’humain et le vivant – si on se dit, aujourd’hui, je vais essayer d’agir pour le présent et essayer d’être au maximum de justesse, peut-être que cela va avoir des effets bénéfiques. Elle dit, il faut lutter contre chaque dixième de degré. Au quotidien, il est nécessaire de lutter pour que chaque dixième de degré, ou chaque espace de liberté qu’on essaie de nous enlever, ne soit pas enlevé. Il faut agir de la manière la plus juste en restant digne. »
Corinne Morel Darleux prône des îlots de résistance et la désobéissance civique. Quelles sont ces autres voies qu’elle préconise ?
« Elle a fait le choix de sortir du monde politique, qui demande un temps important. Le temps que l’on utilise en politique est surtout fait pour avoir un rapport de force entre les partis politiques pour acquérir ce pouvoir et pas forcément pour agir. Elle pense, et nous avec elle, que les actions de désobéissance civile que l’on voit naître, appuyées par des réflexions politiques au sens noble du terme, peut avoir un vrai impact. Il y a ce mouvement qui émerge, Extinction Rébellion, qui dit qu’il faut dire la vérité aux citoyens sur l’état de notre planète. Et c’est un moment où les citoyens doivent se rebeller si les Etats ou les multinationales nous entraînent vers une catastrophe ou vers une destruction du vivant. »
Un mot sur le parcours atypique de Corinne Morel Darleux, qui l’a mené de grands groupes du CAC 40 à la France insoumise. Quand on regarde ce parcours, est-ce que cela sous-entend que le champ politique n’est pas propice à un vrai changement de nos modes de vie ?
« Le monde politique comme on le pense actuellement est tourné vers une délégation du pouvoir des citoyens. De temps en temps on vote, et on a des personnes qui passent le plus de temps à chercher à se faire élire plutôt que d’utiliser ce pouvoir pour amener un changement sociétal. Ce mode de fonctionnement est, à notre avis, un peu caduque. C’est notamment pour cela qu’elle a décidé de se retirer de la France insoumise. Par contre, le besoin de politique est très fort. Le besoin de faire société et de réinventer des façons de faire politique est très important. C’est notamment pour cette raison qu’on se rend avec Corinne Morel Darleux au Rojava, au Kurdistan syrien, dans les prochaines semaines. C’est pour aller voir ce mode de fonctionnement qui s’appelle le fédéralisme démocratique, basé sur une démocratie directe et une façon de faire politique beaucoup plus libérée des questions d’élections et des rapports de forces qu’on retrouve en Europe. »
« Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce », le livre de Corinne Morel Darleux, est édité chez Libertalia.
Pour aller plus loin :
- Le blog de Corinne Morel Darleux
- La dignité du présent contre le naufrage généralisé
- Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce
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