vendredi, novembre 22, 2024

L’espace démocratique se réduit-il en France ?

Poursuites des multinationales contre les associations, attaques des médias par les politiques, criminalisation des mouvements sociaux, mesures anti-terrorismes qui peuvent être liberticides, les questions de la liberté d’expression et du droit à l’information sont de plus en plus prégnantes. Et l’actualité sociale de ces dernières semaines nous le rappelle fortement.

Cet espace démocratique menacé a fait récemment l’objet d’un colloque. C’était le 14 janvier à Paris.

Vous avez participé à ce colloque sur la reconfiguration des espaces démocratiques. Il y a donc une vraie menace sur la liberté d’expression en France ?

« Oui. Aujourd’hui il y a des menaces qui pèsent sur la liberté d’expression en France. On peut penser à des menaces de type différent. Par exemple aux usages liberticides qui ont été faits des outils antiterroristes avec les écologistes qui ont été empêchés de manifester en étant assignés à résidence dans le cadre de l’état d’urgence. Mais on peut penser également à ces procédures bâillon. Ce sont les multinationales qui sont de plus en plus nombreuses à attaquer en justice ceux qui les critiquent. Et je pense également à la loi sur le secret des affaires qui a été votée l’année dernière et qui menace les lanceurs d’alerte et les journalistes. On voit qu’aujourd’hui les menaces sont multiples et que les démocraties sont questionnées à la fois sur la restriction de leurs droits fondamentaux, mais également sur le rétrécissement des marches de protestation ».

Quels types d’attaques sont les plus fréquentes et les plus visibles ?

« Je ne sais pas quelles attaques sont les plus fréquentes mais on sait que, par exemple, les poursuites-bâillons sont de plus en plus courantes en France. La Fondation France Libertés en a elle-même été victime. Elle a été accusée de diffamation par Veolia, même si cette procédure s’est soldée par une relaxe de la Fondation au bout de deux ans de procédure. Mais il y en a plein d’autres actuellement. Je pense à Vinci par exemple contre l’association Sherpa, à Bolloré contre le journal Basta Mag, ou à nouveau Bolloré contre la journaliste Fanny Pigeaud de Médiapart. Il y a environ une quarantaine de personnes qui sont poursuivies par Bolloré aujourd’hui dans une vingtaine de procédures différentes. Donc on voit que c’est quelque chose de courant. Et ce n’est pas une problématique spécifique à la France. Par exemple aux Etats-Unis, il y a un groupe forestier, qui s’appelle Résolu, qui a attaqué Greenpeace en réclamant 300 millions de dollars de dommages et intérêts, même si ces demandes ont été heureusement rejetées par la justice ».

On a vu bon nombre de politiques s’en prendre ouvertement aux médias… Des politiques de tous bords… du président de la République à des responsables de partis. Est-ce que c’est du parler vrai, du sans langue de bois, ou alors ce sont des dérives inquiétantes ?

« Oui, il y a vraiment à un climat très inquiétant pour les médias aujourd’hui, mais qui touche de diverses façons les médias. Par exemple, je peux parler de la loi sur le secret des affaires qui a été votée l’année dernière en France, et qui prétend protéger les entreprises de l’espionnage industriel. Mais on voit bien que cette loi bride la capacité d’investigation des médias. Il y avait une revendication de limiter le champ d’application de ce secret des affaires aux acteurs économiques, puisque le secret des affaires ne devrait s’appliquer qu’aux relations commerciales et non pas au journalisme. Mais cette revendication a été complètement rejetée. Et aujourd’hui cette loi est une véritable restriction au droit d’informer. Elle s’insère dans un contexte qui est vraiment très difficile pour les médias aujourd’hui en France. Et on peut dire que de manière générale il y a de plus en plus de contournements de la loi sur la liberté de la presse. Mais heureusement il y a certaines personnes qui luttent contre ces dérives. Je pense notamment au collectif qui s’appelle « Informer n’est pas un délit », et qui rassemble des journalistes qui défendent la liberté d’expression ».

Les attaques se portent aussi du politique sur les mouvements sociaux. Il y a une vraie criminalisation de ces mouvements ?

« Oui. Il y a un exemple qui est vraiment frappant, c’est l’acharnement contre les militants à Bure. Ce sont ces militants qui luttent contre le projet d’enfouissement des déchets radioactifs à plus de 500 mètres sous terre. Il y a déjà eu plus d’une cinquantaine de procès contre ces personnes qui s’opposent au projet. Donc ça inclut des centaines de mois de prison avec sursis distribués, des années de prison ferme, des interdictions de territoire, des milliers d’euros d’amende. Il y a même eu récemment une trentaine de gardes à vue, dont celle de l’avocat. Une enquête pour association de malfaiteurs a été ouverte, un escadron de gendarmes mobiles s’est installé sur place. On voit que c’est une criminalisation de cette lutte. Les habitants de Bure et des alentours sont surveillés, sont suivis, fichés. Ils sont contrôlés parfois plusieurs fois par jour. C’est un exemple extrême de criminalisation d’une lutte qui a vraiment pour but d’asphyxier la contestation« .

Les ONG sont aussi victimes de cette remise en cause de la liberté d’expression… de la part des multinationales… qui sont de plus en plus friandes de « poursuites-bâillons »… Que recherchent-elles ?

« Les multinationales cherchent avant tout à intimider et à faire taire les voix critiques. Ils attaquent en justice vraiment ceux qui les dérangent sous diverses accusations. cela peut être n’importe qui, des professeurs d’université, des ONG, des avocats, des lanceurs d’alerte. En fait tous ceux qui dénoncent au grand public les violations des droits humains et les violations environnementales. C’est un peu un renversement du sens de l’accusation. On estime aujourd’hui qu’en France il y a environ 90% des poursuites-bâillons, intentées pour diffamation, qui n’aboutissent pas. Donc on voit bien que, gagner en justice, n’est vraiment pas le but de ces multinationales. L’objectif, c’est d’affaiblir, psychologiquement, financièrement, les personnes ou les organisations qui sont visées. Cà cherche à confisquer le débat public aux dépens de l’intérêt général ».

Le collectif « On ne se taira pas » créé il y a deux ans, a eu une véritable portée ? une prise de conscience ?

« Oui, c’est le but du collectif. Pendant toute l’année 2018, le collectif « On ne se taira pas » a essayé de sensibiliser et de faire connaître cette question. On est passé par plusieurs outils de sensibilisation, des vidéos, des tribunes dans les médias. On s’est doté d’un compte Twitter et un site Internet. Et puis le collectif a commencé l’année 2019 en organisant ce colloque sur la reconfiguration des espaces démocratiques avec des intervenants très divers, aussi bien des chercheurs, que des militants, des journalistes. Et c’est vraiment cette approche croisée qui est essentielle. Croiser les approches universitaires militantes pour créer du savoir et renforcer la lutte contre ces dérives ».

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