Le 3 novembre dernier la Fondation France Libertés remettait à Paris les prix Danielle Mitterrand mettant en lumière les combats pour un monde plus juste, plus humaniste, plus solidaire. Parmi les lauréats : le peuple Krenak, ce peuple autochtone du Brésil victime en 2015 d’un drame humain et environnemental.
Leur prix leur a été décerné par Anne Suarez et Olivier Rabourdin, les deux comédiens à l’affiche de la série “Guyane” dont la diffusion de la saison 2 s’est achevée le mois dernier sur Canal Plus.
Avec Anne Suarez
Avec Olivier Rabourdin vous êtes les parrains de la campagne « Justice for Krenak ». Pourquoi avoir accepté ce parrainage ? Est-ce que cela allait de soi après “Guyane” ?
Anne Suarez et Olivier Rabourdin © France Libertés
« Oui. Il se trouve que sur le tournage de la deuxième saison de Guyane, on a rencontré cette année beaucoup de représentants des peuples autochtones guyanais. Certains jouaient avec nous et se trouvent être de grands militants pour la cause des peuples autochtones, comme Christophe Yanuwana Pierre et Alexis Tiouka. Comme on était en plein dans le début de la concertation pour ou contre la Montagne d’or, on a pris connaissance de ce qu’était l’extractivisme En fait on s’est mobilisé Olivier et moi et une grande partie de l’équipe contre ce projet. On a été contacté par France Libertés. Cela nous semblait évident de soutenir l’appel de Geovani Krenak et de le faire entendre le plus possible, parce qu’ils vivent exactement les conséquences des problèmes liés à l’extractivisme. »
Au Brésil, la vie du peuple Krenak a été dévastée depuis la rupture de ce barrage de déchets miniers en 2015, mettant à mal toute la vallée du Rio Docé. Depuis, les Krenak se battent pour obtenir réparation et pour que leurs droits soient respectés. Aujourd’hui, quel est leur quotidien ?
« Il y a deux choses très marquantes qui font que leur vie a complètement changé. Evidemment ce fleuve est complètement devenu impropre à toute utilisation et consommation et donc il sont devenus complètement dépendants en eau. Il n’ont plus d’accès à l’eau. L’eau leur donne leurs moyens de subsistance évidemment à la fois par la pêche, l’utilisation des plantes qui avaient dans le fleuve, l’eau pour l’agriculture, pour boire. Ils sont devenus totalement dépendants de l’aide extérieure en eau. Ce sont des ressources extérieures qui ne correspondent pas à leurs besoins particuliers. Et comme beaucoup de peuples autochtones, les Krenak ont un rapport très très fort à leur environnement. Là pour eux, la mort de ce fleuve, le fait qu’il soit totalement pollué, c’ést comme si ils avaient réellement perdu un membre de leur famille parce qu’ils ont une spiritualité et un culte et une manière de vivre qui est totalement fondée autour du fleuve. Et aujourd’hui ils ne peuvent que le regarder couler à leurs pieds, sans plus du tout pouvoir avoir des rapports avec lui. C’est vraiment comme s’ils avaient perdu quelqu’un de la famille. »
Dans leur relation avec le fleuve, il y a vraiment une dimension environnementale et humaine très forte ?
« Il y a un truc culturel qui est très fort. C’est vraiment quelque chose qui fonde leur identité profondément. Geovani Krenak raconte que son peuple se sent affaibli, et lui-même se sent affaibli, parce qu’il ne peuvent plus du tout avoir la communication qu’ils ont l’habitude d’avoir avec le fleuve qui est une chose quotidienne. En fait, c’est vraiment une manière de vivre avec le fleuve et pas du tout uniquement en s’en servant. »
Au Brésil, les responsables locaux continuent de parler d’accident, au sujet de la rupture du barrage. Les associations, elle, évoquent un crime. Vous l’avez-vous-même rappelé. En quoi y a -t-il eu crime ?
« On parle très clairement de crime mais pas du tout de catastrophe. Il a été démontré, prouvé, qu’il y a des études qui ont été portées à la connaissance de la multinationale Samarco qui démontraient les failles des barrages de rétention des eaux polluées. Ils ont eu connaissance des fragilités de leur système de stockage de déchets et rien n’a été fait pour consolider les digues ou pour retravailler ces déchets pour en faire quelque chose. Donc c’est d’une manière consciente que cette entreprise a laissé les choses se faire en prenant le risque qu’il se passe ce qui s’est passé, à savoir la mort de gens et une vie condamnée pour les 600 km de fleuve dans lesquels les boues se sont déversées. On estime que c’est un crime puisque ils avaient connaissance du danger potentiel. »
Vous avez signé une tribune dans le journal Le Monde où vous en appelez à la solidarité de la communauté internationale. Que peut-elle faire ?
« C’est une demande de Geovani Krenak lui-même. C’est une recherche de soutien international pour plusieurs raisons. D’abord parce que ils se sentiront moins isolés de savoir qu’il y a des gens qui s’intéressent à leur combat. Ensuite c’est évidemment pour eux une possibilité en étant au Brésil de dire ‘regardez il y a tel article de journaux, tant de signatures, tant de parution de gens qui parlent de notre combat. La communauté internationale a un œil dessus’. Et puis, concrètement, je pense que plus on va parler d’eux, plus ils vont exister de manière internationale et plus ils vont être protégé, et moins cette multinationale pourra continuer à faire des dégâts et à les malmener. Le fait que la communauté internationale soit au courant de leur existence les protège aussi d’une certaine manière. »
En quoi l’élection de Jair Bolsonaro à la tête du Brésil fait peser une menace sur les peuples autochtones ?
« Je crois que c’est assez terrifiant. Geovani Krenak était à Paris quand il y a eu le deuxième tour des élections. C’était tout à fait tangible de voir l’angoisse que ça lui a procuré. Il est tout à fait conscient du fait que Jair Bolsonaro et ses équipes n’auront qu’une volonté, c’est de les mettre au pas. Ils n’auront absolument aucune volonté d’écouter leurs revendications et encore moins de faire respecter les droits des peuples autochtones qui sont marqués dans la Constitution au Brésil qu’il faut appliquer et qu’il faut faire respecter. C’est évident que Jair Bolsonaro, cela ne va pas du tout être son sujet. Ce sont donc des populations qui sont encore en très grande précarité, en très grande fragilité. Se dire qu’il y a des gens à l’international qui soutiennent ce combat, cela peut être une manière de les protéger un petit peu. »
Geovani Krenak avec la Jeunesse autochtone guyanaise (JAG), dont Christophe Yanuwana Pierre © France Libertés“Défendre le peuple Krenak, c’est nous défendre nous-mêmes”, c’est ce qu’Anne Suarez et Olivier Rabourdin soulignent dans leur tribune… Pour eux ce combat est symptomatique des dérives et des dangers que court la planète.
On retrouve Anne Suarez la semaine prochaine pour parler de la Guyane et du projet Montagne d’Or.
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