C’est dans le cadre d’une journée de débats organisée par POUR, média libre et indépendant avec qui Fréquence Terre-Écolodio tisse des relations confraternelles, que nous avons rencontré Riccardo Petrella, figure emblématique de l’altermondialisme, mais, aussi, Christine Mahy, porte-parole de la lutte contre la pauvreté, et d’autres intervenants, au sujet d’enjeux sociétaux, politiques, économiques, sociaux et, bien sûr, écologiques qui en font partie intégrante.
Voici des extraits significatifs, et parfois décapants, des six à sept heures de ce forum militant et fraternel.
Jean-Claude Garot, cheville fondatrice de POUR explique : « Quand on voit la politique de Trump, celle d’Erdogan et de tas d’autres pays, y compris la Chine, qu’on voit comment l’évolution se fait et à quelle vitesse, nos responsabilités sont de plus en plus grandes d’être capables de soutenir des luttes, d’être un porte-voix dans notre société en se demandant comment davantage de citoyens peuvent s’emparer du débat politique. » Il termine son introduction par ce cri du cœur : « Alors, nous allons créer le futur ensemble ! »
Mainmise capitaliste sur le « vivant »
Riccardo Petrella, 77 ans, possède un curriculum vitae long comme un jour sans pain : politologue et économiste italien, docteur en sciences politiques et sociales, professeur d’écologie humaine, fondateur du Comité international pour un contrat mondial de l’eau, c’est-à-dire, qu’il est un ardent défenseur du droit universel et prioritaire à l’accès à l’eau, initiateur du Groupe de Lisbonne où il est question d’écocitoyenneté, de démocratie, il est résolument contre la marchandisation du monde.
Défenseur du bien commun contre la privation des ressources vitales pour l’homme, bref, c’est une figure emblématique de l’altermondialisme, un mouvement qui se traduit par une recherche d’alternatives à l’ordre international du commerce et de la finance qui, selon des sources fiables[1], est marquée par une culture libertaire ou l’écologie radicale par certains aspects.
La situation catastrophique que le monde connaît actuellement sur les plans de l’environnement, de la liberté de la presse, du droit des citoyens, de la démocratie…, n’est pas le fruit du hasard et Riccardo Petrella y apporte quelques explications :
« Je pense que la gauche est responsable de la nouvelle dévastation et destruction du vivre-ensemble, même si elle n’est pas la seule. Après les années soixante-dix, elle a commis une erreur historique en adhérant à la thèse que, à la base de toute innovation individuelle et collective, il y a la science. Surtout, une science devenue de plus en plus technologique.
La gauche n’a pas proposé une alternative au rôle des sciences technologiques dans l’évolution des sociétés humaines, acceptant qu’elles soient la source du progrès social et humain.
Cette troisième révolution scientifique et technologique, celle du monde américo-sciento-technologique, a donc envahi nos médias, écoles, universités…
Dans les années quatre-vingt-dix, la gauche chanta en chœur la nouvelle ère, celle de la globalisation, y compris la mainmise sur le « vivant » et, à présent, l’intelligence artificielle. Les vrais seigneurs de la vie sont les industries agro-chimiques-pharmaceutiques et jamais la gauche ne protesta, aucune mobilisation contre tout ça !
Pour elle, ce processus de la globalisation est inévitable. Elle est comme la pluie. Tu ne peux rien faire contre elle, qu’avoir un parapluie.
Et, alors, s’en suit l’idéologie de la compétitivité, le principe du marché comme élément naturel du vivre-ensemble, et, aussi, elle ne fut jamais capable de lutter contre la guerre. Elle accepta les guerres, d’où la logique de l’appauvrissement et de l’inégalité, et, en réponse, développe l’aide, l’aide et encore l’aide, alors qu’il faut faire sortir les gens de cette situation de pauvreté et d’inégalité, d’une prison, en somme… »
Jean-Claude Garot résuma cette première intervention : « La gauche est grandement responsable de l’évolution contemporaine des rapports de force et de l’évolution de la société. L’élitisme scientifique reconnu et accepté depuis l’époque des Lumières a abouti à ce qu’une minorité de personnes imprime l’ensemble du processus économique, politique et social, qu’il y a eu transformation avec l’usage d’un vocabulaire qui dénature les rapports d’analyse et puis cette complicité à la participation de la gauche à la gestion du capitalisme ».
« Tout ça dans un confort ouaté… »
Christine Mahy est assistante sociale de formation, présidente du Réseau belge de lutte contre la pauvreté, docteur honoris causa à l’Université de Liège en septembre 2018, elle déclara à son tour : « Je ne suis pas une intellectuelle et n’ai pas de théorie sur la gauche, mais je constate l’acceptation des inégalités, l’appauvrissement structurel installé et accepté. On considère des gens, ceux traités d’incapables, de poids lourds, d’incompétents, d’inadaptés…, comme des objets utiles appauvris qui font vivre des secteurs de notre société. On a décidé de vider les droits des gens en les remplaçant par des sparadraps compensatoires, on organise, systématise, structure, fixe même dans des lois, le fait qu’il y ait une population grandissante de gens qui a faim. On a intégré l’idée de parler de banques alimentaires, de restos du cœur, d’aide sociale, de la pauvreté intégrée comme un objet. Des gens sont devenus des objets et tout cela s’installe dans un confort ouaté. Alors, des gens de gauche disent que j’ai un discours destructeur en déclarant tout ça… »
Après toutes ces constations, comment réagir ? Réponse de Christine Mahy :
« Chaque fois qu’on met en place quelque chose, qu’on réfléchit, on doit se poser la question du droit pour les gens et ne pas dire qu’ils sont un problème, ont des défauts… On doit penser en termes de réduction des inégalités, comment rééquilibrer les choses (…) Ainsi, je viens d’apprendre avec bonheur que les transports en commun de Dunkerque vont être gratuits et le maire explique que c’est, bien sûr dans le cadre de l’environnement, mais également dans celui de la justice sociale (…)
Cependant, on exige encore trop de ceux qui ont déjà trop et d’être plus vertueux que ceux qui ont tous les moyens de faire des efforts !
Ce n’est pas une question simple, parce que ça demande une autre temporalité, un autre rythme, d’autres endroits où se trouver, mais, en définitive, c’est l’affaire du Parlement, de l’agora… »
De bonnes choses, connaissance et conscience
Deux remarques parmi bien d’autres participants à cette journée POUR (ci-dessous des extraits, mais le podcast est plus explicite pour les trois prochaines interventions) :
« La pensée dominante est la pensée de la classe dominante, celle qui a besoin d’exercer son pouvoir, donc de contrôler les esprits. »
« Beaucoup de bonnes choses ont eu lieu depuis 1970. Je crains de voir beaucoup de gens aveugles par rapport à ce qui va bien. Il y a aussi des chiffres positifs sur l’évolution de l’humanité en matière d’accès à l’éducation, à l’eau, à l’alimentation, à l’information, il y a diminution de la mortalité infantile et augmentation de la durée de vie. Même le monde de tués sur la planète a diminué. Bien sûr, il reste des inégalités… »
Conclusion humaniste de Riccardo Petrella :
« Le problème de l’exclusion mondiale et celui du développement écologique est immense et c’est vrai qu’on ne peut pas tout attribuer à la gauche et l’incapacité de le résoudre (…) Le débat sur la science et la technologie ne peut pas faire l’économie sur l’imaginaire, donc sur la conscience. Celle-ci vient avant la connaissance !
C’est pour cela que je continue de dire que la gauche s’est trompée. Elle n’a pas été capable de dire que la connaissance est un instrument, alors que l’émotion, la passion, la compassion, la joie, l’amitié, l’amour…, ça, c’est avant la connaissance elle-même ! »
Photos : Marie-Paule Peuteman, Fréquence Terre-Écolodio.
[1] Voir « Altermondialisme » à Wikipedia, 2018.
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