Les droits des peuples autochtones ignorés ! C’est en ces termes que la Fondation France Libertés a réagi le mois dernier après la décision de l’Office européen des brevets de reconnaitre un brevet déposé par l’IRD, l’Institut de Recherche pour le Développement. Ce brevet porte sur les propriétés antipaludiques de la plante Quassia Amara (aussi appelée Couachi), identifiées en Guyane grâce à l’apport de savoirs traditionnels.
- Tapo Aloïke est un autochtone Wayana de Guyane. Actuellement étudiant en philosophie à Toulouse, il est allé à Munich, en Allemagne, pour témoigner devant l’Office européen des brevets et faire valoir les droits de son peuple. Sans succès. L’office lui a refusé le droit de prendre la parole.
Au micro de Fréquence terre, Tapo Aloïke témoigne du combat de son peuple. L’étudiant a le sentiment d’avoir été exclu du débat.
« Je ne dirai pas que c’est humiliant, mais c’est un peu réducteur. Cela a été un choc. On a refusé d’entendre la communauté amérindienne, son avis, ses positions, ses choix, ses décisions. Cela m’a un peu touché. Je n’ai pas ressenti de haine mais un sentiment d’injustice et de négligence. Une sorte de mépris. J’ai l’impression qu’on n’était pas considéré au niveau des instances européennes. »
Quel est le sens du témoignage que vous vouliez porter ?
« C’était un message de constat. Il y a eu pendant des années une forme d’injustice. Aujourd’hui, c’est quelque chose qui persiste. On est attaqué par la société qui prend une place énorme dans notre manière de vivre, dans notre monde, qui amène à un certain effacement de notre identité comme peuple amérindien. Nous sommes victimes de l’exploration de l’Amérique. Que nous soyons considérés et qu’on arrête cette forme de pillage de nos savoirs, de nos terres, de nos richesses ! »
En quoi la Quassia Amara est-elle symbolique pour les Wayana ?
« C’est une plante qui est assez importante. C’est la plante qui a des vertus curatives, en particulier antipaludique, qui est utilisée par toutes les communautés amérindiennes, que ce soit en Amérique du Sud ou centrale, et pas seulement spécifique aux Amérindiens de Guyane. Pour notre communauté, cela fait partie du patrimoine, des connaissances et de la richesse des traditions amérindiennes. Le fait d’avoir une exclusivité sur cette plante, pour nous c’est un affront qui aurait pu être arrangé par notre participation à l’OEB. On le prend encore plus mal. Il y a une sorte de mépris. On refuse de reconnaitre notre participation à la découverte de cette plante, même si nous en tant qu’Amérindien, on a utilisé cette plante de manière générale pour ses vertus. Mais on avait bien connaissance, et découvert de manière constatable, que cette plante avait bien des propriétés curatives. »
Avec ce brevet de l’IRD, quel est le sentiment de votre communauté ?
« La communauté amérindienne de Guyane a un sentiment d’injustice. On se méfie maintenant des Européens qui viennent faire des recherches, parce qu’on ne nous témoigne pas de respect ni de reconnaissance, ni de considération. On n’a plus envie de faire d’efforts. Nous offrons des choses, nous avons une certaine générosité, mais il n’y a pas de retour, ni de reconnaissance. »
Quelles sont les conséquences de ce brevet pour votre peuple ?
« Le brevet va changer des choses dans le sens strict. L’IRD, qui possède ce brevet, peut interdire l’utilisation de la plante. De manière juridique, l’IRD privatise cette plante. Nous, les peuples autochtones, nous n’avons plus, en théorie, le droit d’utiliser cette plante. Nous n’avons pas de retours. Il n’y a pas eu de consentement. On veut bien partager nos savoirs, c’est un plaisir. Mais nous vivons dans un monde où tout n’est qu’intérêt du modèle occidental. Il faut savoir que nous sommes particulièrement en difficultés par rapport à notre insertion dans ce monde que nous ne maîtrisons pas. Notre contribution à améliorer ce monde par le biais de notre connaissance, par ce partage-là, n’est pas récompensé. Ce monde ne nous renvoie pas d’ascenseur en retour pour que nous puissions mieux nous adapter. »
Tapo Aloïke et sa communauté souhaite simplement une reconnaissance de leurs droits et de leurs apports à la recherche. Pour que la richesse de leurs terres bénéficie directement au développement des peuples autochtones et de la Guyane.
Pour aller plus loin :
- Un brevet biopirate légalisé en Guyane : « un déni du droit »
- Biopiraterie : les droits des peuples ignorés par l’office européen des brevets
- Tapo Aloïke, autochtone Wayana : « Nous réclamons un peu de justice »
- Les arguments de l’IRD sur le cas Couachi passé à la loupe
- Pour l’IRD, France Libertés se trompe de cible et de combat
[youtube https://www.youtube.com/watch?v=e0uo6ScwCpU]
Podcast: Download