Le phénomène n’est pas nouveau : l’enseignement technique, technologique et professionnel est considéré comme un parent pauvre par les « têtes pensantes » de l’Éducation et des « spécialistes » ès pédagogie, depuis des décennies. Il est souvent regardé de haut et il est conseillé aux étudiants que ces penseurs considèrent comme « inaptes » à entreprendre des études supérieures débouchant souvent, les statistiques le prouvent, sur des culs-de-sac appelés désillusions et chômage, alors que des métiers ont un besoin urgent de personnel.
Pour rappel : on distingue le métier de la profession en associant les activités dites manuelles aux métiers et les activités dites intellectuelles aux professions. Tout est dit dans cette définition ! Comme si un métier ne relevait pas d’une certaine intelligence, en somme ! Pourtant, comme le soulignent les brillants Compagnons du Travail qui, depuis des siècles, érigent des bâtiments et infrastructures exceptionnels, « la main est la prolongation de l’esprit » !
Il ne faut pas donc pas nier que chirurgien, juge, interniste, avocat, notaire, professeur d’université, dentiste, pharmacien…, sont davantage conseillés que bronzier, charpentier de marine, dessinateur industriel, ingénieur aéronautique, maroquinier, tailleur de pierre, verrier…
Récemment[1] un reportage à Amiens sur l’école des Jésuites « La Providence » fréquentée par le président de l’État français, Emmanuel Macron, et François Ruffin, membre de la « France insoumise » dit le « Robin des bois » par comparaison au « président des riches », attira mon attention :
– « La Providence », c’était et ça reste une école de gens aisés. Une école de classes. Depuis qu’une filière professionnelle a été intégrée, la mixité a été encouragée. Mais ça ne veut pas dire le brassage. Les classes populaires continuent de fréquenter davantage l’école technique, expliquait un ancien professeur. Deux France, deux mondes se croisent déjà ici, concluait le reportage.
En Belgique, même constat. Il y a quelques années encore, un très important institut d’enseignement technique et professionnel situé dans la capitale de l’Europe, comptait plusieurs écoles en son sein : Mécanique et Électricité, Industrie graphique, Industrie du Bois et de la Peinture, Bijouterie et Joaillerie, Prothèse dentaire…, en cours du jour et du soir, avec des dizaines de spécialisations, soit 5.000 étudiants pour une six écoles distinctes, chacune ayant une direction autonome, le tout chapeauté par une direction générale. Sur l’ensemble directeurs/trices, un seul était issu de l’industrie, les autres étaient des professeurs de langues, de mathématiques, de cours généraux.
Dès lors, les rapports étroits avec les industriels et les décisions à prendre quant aux commandes de matériel et à l’orientation vers de nouvelles sections, reposaient, tant bien que mal, sur des sous-directeurs et chefs d’ateliers, tous, bien entendu, issus de l’industrie mais aux pouvoirs administratifs et décisionnels plus que limités.
Le résultat ne s’est pas fait attendre des décennies : cette école technique prestigieuse a périclité en quelques années et il ne restait que 800 étudiants en tout et pour tout en 2016 !
Une récente étude au niveau francophone belge sur l’état de l’enseignement est catastrophique : un jeune bruxellois entre 18 et 24 ans sur cinq et un jeune wallon de la même tranche d’âge sur six n’est ni à l’école ni au travail ni stagiaire !
Une des causes avancées par le sondage est le taux élevé de jeunes qui quittent le secondaire sans qualification valorisable, une autre dans le commentaire suivant :
« Les Pouvoirs Organisateurs, vu que les redoublements coûtent cher, demandent que l’élève passe à tout prix. C’est ainsi que nous avons des troupeaux serrés d’analphabètes qui sont titulaires d’un diplôme ne valant rien de plus qu’un « chiffon de papier ». C’est l’échec de l’école de la réussite. Un diplôme poubelle à tout le monde comme cadeau électoral. Bientôt il faudra deux diplômes universitaires pour être crédible ».
Si ceci ma paraît excessif, le suite nous ramène directement avec notre sujet, avec cette proposition : « Le problème vient du fait que de plus en plus de jeunes sont diplômés et se désintéressent du travail manuel, alors qu’il manque des bouchers, des mécaniciens, des boulangers, des soudeurs. Je pense particulièrement aux établissements techniques et professionnels. Un enseignement en prise directe avec le monde du travail serait plus motivant pour les jeunes. L’école devrait s’adapter au monde du travail, en allongeant notamment les périodes de stage, souvent trop courtes actuellement. »
Et, il ne faut surtout pas croire que le Vieux Continent a le monopole du dénigrement de l’enseignement technique et professionnel, la lecture attentive de l’ouvrage consacré à ce sujet par l’auteur algérien Larbi Adouane[2], ancien proviseur d’un Collège technique est éclairante à plus d’un titre !
« Les anciens élèves et professeurs des technicums, de Béjaia (importante ville de Kabylie) en particulier, tout citoyen soucieux de l’état de déliquescence de notre système éducatif sont invités à prendre connaissance et à ouvrir un débat. Le système éducatif en vigueur est en violation du projet de la commission Benzaghou où l’enseignement technique avait toute sa place. Il devait être réformé mais pas supprimé et les filières « Traitements numériques » actuelles ne peuvent se substituer à l’enseignement technique. »
Tout est dit !
[1] « Le Soir », octobre 2017.
[2] » L’ENSEIGNEMENT TECHNIQUE, CE MAL AIME », EDILIVRE, 2017.
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