Les chroniques « Ardennes françaises mystérieuses, sacrées et insolites » sont inspirées de l’ouvrage et d’émissions de Pierre Guelff aux Éditions Jourdan, à la RTBF et TV5 Monde « Ardennes Mystérieuses, Insolites et Sacrées ». Musique du générique : « Le Réveil ardennais. »(youtube)
Monthois, moins de 400 habitants (plus de 500 avant la Première Guerre mondiale), fait partie des « Villes décorées de la Croix de guerre 1914-1918 ». Cette distinction militaire récompensa une « conduite exceptionnelle au cours de la Première Guerre mondiale ; elle a également été attribuée aux villes martyres, aux villages détruits ou aux cités ayant résisté héroïquement et elle figure à la place d’honneur dans leurs armoiries. »
C’est le sculpteur Paul-Albert Bartholomé qui réalisa cette distinction. C’est lui qui, aussi, sculpta différents monuments visibles aux cimetières du Père-Lachaise, de Montparnasse, de Montmartre à Paris, aux musées des Beaux-Arts de Lyon, d’Orsay et au Panthéon (monument de Jean-Jacques Rousseau) à Paris, royaux à Bruxelles, dans l’Oise, à Rome…
Et puis, nous voici au « Pays des Trois Cantons », là, du moins au lieu-dit « Alma », où la Meuse entre dans les Ardennes.
À Mouzon, plus précisément au Mont-de-Brune, il est question de la fin (controversée) de l’indépendance des Gaulois ardennais et de leur chef de file Indutiomar et, au site de Flavier, il s’agit de culte gaulois.
Qui dit Mouzon, dit, aussi, le célèbre Musée du feutre et de la laine, les fortifications, l’abbaye du XVIIe siècle et ses jardins à la française, mais, principalement, l’église abbatiale Notre-Dame.
Ici, j’ai connu l’une de mes découvertes majeures dans la quête de lieux « insolites, sacrés, merveilleux… » qui, pourtant, ne fait que cinq lignes sur une vingtaine de pages dans la plaquette officielle « L’Abbatiale de Mouzon » éditée par « Les Amis du Vieux Mouzon » !
Joyau de l’architecture ardennaise
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il faut savoir que Mouzon s’appelait autrefois Mosomagum, à l’époque de la domination romaine en Gaule.
Au fil des siècles, la seigneurie de Mouzon prit de l’importance au point que Clovis l’offrit à saint Rémi, son baptiseur.
Il y eut plusieurs édifices religieux dans la cité, mais on ne sait pas à quelle époque remonte l’érection de l’église Notre-Dame. Au temps de saint Rémy ?
Ce que l’on sait, en revanche, c’est que l’église est antérieure à 875. Elle connut maintes vicissitudes (incendie, reconstruction, agrandissement, incendie…) et en 1789, elle devint bien national.
En 1801, elle devint « Temple de l’Égalité et de la Raison », écus et inscriptions nobiliaires étant martelés.
En 1807, la foudre tomba sur elle, il fallut vingt ans de travaux pour consolider les murs et attendre 1867 pour une restauration complète.
Hélas, lors de la Seconde Guerre mondiale, un obus endommagea la grande rose du transept sud, un deuxième creva une voûte, écrasant la chaire de vérité et abîmant les bancs et les stalles.
Une nouvelle restauration s’imposa, et l’éclairage indirect fut installé afin de « mettre pleinement en valeur, dans une féérie de lumière, ce joyau de l’architecture ardennaise » inspiré de la magnifique cathédrale de Laon.
Les deux pouvoirs
Quelques particularités parmi tant d’autres : des sculptures, des écussons, des statues debout et agenouillées (un abbé évêque tenant une crosse et un chevalier armé d’un glaive symbolisent l’union des deux pouvoirs), une quarantaine de gargouilles aux formes étranges et figures grimaçantes, des corbeaux aux formes variées représentent des têtes d’hommes ou de femmes faisant « d’affreuses grimaces », des têtes d’animaux (renards, chiens), des animaux fantastiques, des chapiteaux décorés, une flore diversifiée (chêne, lierre, trèfle, renoncule), la statue de saint Victor de Mouzon, le cou du martyr portant la trace de son supplice tout en protégeant une colombe. Des yeux de celle-ci tombe une goutte de sang.
« Saint Victor de Mouzon fut martyrisé pour avoir protégé la vertu de sa sœur, sainte Suzanne, pour laquelle le gouverneur païen de Mouzon éprouvait une violente passion. Victor eut la tête tranchée et Suzanne les yeux crevés. »
« Du domaine des Murmures »
Depuis plusieurs années, j’assume aussi une chronique radiodiffusée et écrite dans l’émission et la rubrique « Littérature sans Frontières » sur Fréquence Terre. Voici celle consacrée à un ouvrage « marquant » : « Du domaine des murmures ». Le lien avec Mouzon sera directement établi ci-après…
« Du domaine des Murmures », couronné par le Prix Goncourt des Lycéens, est un étrange, violent et troublant roman, mais écrit de manière raffinée par Caroline Martinez chez Gallimard. C’est, à la fois, l’histoire terrifiante et tellement humaine d’Esclarmonde, une adolescente vivant à la fin du XIIe siècle et qui désire ardemment se consacrer à Dieu.
Néanmoins, son père, châtelain, veuf et ayant perdu plusieurs de ses enfants, décide de la marier à Lothaire, un chevalier sans foi ni loi, fils du seigneur de Montfaucon.
Le jour de ses noces, au lieu de clamer le traditionnel et obligatoire « oui », la jeune fille se tranche une oreille en pleine cérémonie nuptiale sous les yeux ébahis des invités et, même, de l’archevêque venu bénir cette union. Alors que le sang se répand sur le dallage de l’édifice sacré, un agneau fait son apparition : « C’est un miracle ! » conclut l’ecclésiastique en voyant l’animal se diriger vers Esclarmonde. Une attitude prise comme une sorte d’accord céleste à la volonté de ne s’unir qu’au Christ. Une Esclarmonde qui va jusqu’à réclamer d’être recluse et, ainsi, terminer son existence en communion avec Dieu, quand bien même elle a été violée avant de rejoindre son « reclusoir » où une tombe a été creusée à ses dimensions.
Mais, dans sa retraite située près du chœur d’une chapelle, elle n’est pas seule. Elle suit les offices par un petit orifice donnant dans la nef et elle reçoit beaucoup de confidences de gens qui l’implorent de prier pour leur salut, entre autres des pèlerins en route vers Compostelle. Elle est là, posée comme une borne à la croisée des mondes, explique l’auteure. Et puis, cela bouge dans le ventre d’Esclarmonde et, croyez-moi, on sort sérieusement « secoué » par la lecture de pareil ouvrage ! Mais, tout le monde arrivera-t-il au bout de ce récit dantesque ? »
Mathilde, la recluse de Monzon
« Ainsi, à gauche de l’autel, dans le mur nord on remarque une petite salle avec une porte basse et une fenestrelle. Ce logement accueillait au Moyen Âge une « recluse » qui volontairement se faisait enfermer afin de prier et d’être ainsi l’intermédiaire entre Dieu et les hommes. Il reste très peu de « reclusoirs » en France et en Europe. », selon « L’Abbatiale de Mouzon ».
C’est la raison pour laquelle j’ai évoqué mon émotion à cette « découverte majeure » effectuée parmi mes nombreux périples et pérégrinations.
De la bouche d’une paroissienne de Mouzon, j’ai appris que la recluse s’appelait Mathilde et qu’elle possédait un « château » dans les environs de la cité, à dire vrai c’était une imposante demeure.
« On a découvert son « reclusoir » il y a trente-cinq ans. Il y avait peut-être une pièce adjacente. Était-elle aussi murée ?On a trouvé une pierre tombale dans la chapelle Saint-Joseph adjacente, celle d’une femme ayant vécu au XIIe siècle. Il pourrait bien s’agir de Mathilde ».
Une curiosité de Mouzon
À l’entrée du « reclusoir », j’ai glané quelques explications « officielles » sous ce titre : « Une curiosité de Mouzon » :
« Dans l’esprit de nos contemporains, la récluserie est synonyme d’emprisonnement, d’enfermement pour une faute commise, une certaine forme d’expiation…
Dès le 1er siècle, de notre ère chrétienne, des hommes ou des femmes, après avoir vécu une vie maritale décidaient librement et sans contrainte de terminer leur existence, ici-bas, dans la prière, la méditation, le silence et la pénitence.
Leurs vies d’ermites n’avaient qu’un seul but :
La recherche de l’Essentiel, le face-à-face avec Dieu.
Nous voyons, ici, une partie de la cellule, il faut imaginer une pièce plus grande, avec une fenêtre donnant sur le cloître qui permettait au moine portier d’apporter à la recluse le nécessaire pour vivre.
La fenestrelle, l’hagioscope, qui se trouve à côté de la porte, donnait la possibilité à la recluse de recevoir les intentions de prière des gens et surtout de suivre les offices religieux célébrés dans l’Abbatiale.
Nous connaissons deux personnes qui ont habité cette cellule : Messamilla, fille d’Hugues le Loup et Mathilde de Villemontry au XIIe siècle (1197). Nous savons aussi que le fils de Mathilde était moine bénédictin à l’Abbaye de Mouzon.
Cette forme de vie érémitique n’était pas rare, jusqu’au Moyen Âge, on pouvait compter trente cellules de recluse dans la seule ville de Lyon. »
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