Les chroniques « Ardennes françaises mystérieuses, sacrées et insolites » sont inspirées de l’ouvrage et d’émissions de Pierre Guelff aux Éditions Jourdan, à la RTBF et TV5 Monde « Ardennes Mystérieuses, Insolites et Sacrées ». Musique du générique : « Le Réveil ardennais. »(youtube)
Un peu d’histoire pour aborder ce chapitre consacré à cette « Ville neuve du XVIIe siècle », comme l’indique une documentation exposée au cœur de la ville :
« Le 6 mai 1606, le 26e jour anniversaire de sa naissance, Charles de Gonzague, duc de Nevers et Rethel, prince souverain d’Arches, décide la construction d’une ville nouvelle. Il la baptisera de son nom deux ans plus tard, le 23 avril 1608 : Charles-ville.
Fervent catholique, il la veut cité monacale, base rapprochée contre les Calvinistes de Sedan et de Montcornet en Ardenne.
Pour concrétiser ce vœu, la ville accueillera nombre de congrégations : Jésuites en 1612, Carmélites en 1616, Capucins en 1620, Sépulcrines en 1622, Milice chrétienne en 1623…
Pour se développer, la neuve cité se doit de gagner un statut de place commerciale de première envergure et devenir un point de rencontre entre les négociants de France et d’Europe du Nord.
Bien que fortifiée, elle laissera le rôle militaire à son aînée et voisine, Mézières.
Les villes nouvelles sont souvent édifiées soit selon un plan en damier, soit selon un plan radioconcentrique. Subjugué par les jeux de symétrie, Charles de Gonzague opte pour le premier.
À l’instar d’un castrum, camp de légionnaires romains, deux axes de circulation principaux se croisent de manière perpendiculaire, au centre de la cité.
À l’intersection, est aménagée une grande place rectangulaire, ici la placeDucale. Les quatre quartiers, répartis de part et d’autre des axes, enserrent chacun une place secondaire : place Saint-Ignace (place Condé), place du Saint-Sépulcre (de l’Agriculture), place Notre-Dame (près de l’actuelle place du Théâtre) et place Saint-François (Winston-Churchill).
Quadrilatère de 700 m de côté, la porte de Flandre répond à celle de Luxembourg, et le moulin ducal fait écho, quant à lui, à la porte de France.
Assassins et sorcières
Les premiers habitants viennent d’Arches et de sa principauté, ainsi que de Mézières. Débute alors le dépeuplement de Mézières au profit de Charleville : au cours du 17e siècle, sur 1 600 familles macériennes, 1 400 choisiront de venir vivre à Charleville !
Les Macériens peuplent les rues Saint-Charles et Sainte-Catherine. Le premier habitant de la place Ducale est Jacques Chasson, maître tapissier de Bruxelles que Gonzague fait venir avec sa famille.
Pour peupler sa cité, Gonzague accorde en mai 1620, par lettres patentes, le droit d’asile aux personnes recherchées en France.
Sur 579 demandes d’asiles : 294 émanent de mauvais payeurs, 218 d’assassins et 2 de sorcières ! »Et dire que tout cela n’aurait pas existé si Charles de Gonzague n’avait pas, à l’âge de 22 ans, échappé à la mort lors du siège de Bude (qui deviendra Budapest), le 22 octobre 1602, un coup d’arquebuse effleurant cœur et poumons !
Belles, attirantes, insolites
Charleville et Mézières ont fusionné en 1966 et le Mont Olympe (196 m) domine l’entité alors que la Meuse la traverse. Les Vierges Noires ont toujours été motif à questionnements et le spécialiste en la matière, Jacques Huynen, a dressé une liste de leurs emplacements. Pour les Ardennes françaises, il signala Mézières comme « un lieu de culte à la Vierge Noire, mais où il n’est pas certain qu’il a existé une statue médiévale semblable aux autres. »
Effectivement, il existe un « label » pour admettre les Vierges Noires comme authentiques ou non, ce qui n’empêche pas la dévotion à des « mystérieuses mères nourricières » dans des sanctuaires où trônent des statues de Marie belles, attirantes, insolites.
Pourquoi des Vierges Noires ?
À plusieurs reprises, autant dans des écrits que lors d’émissions, j’ai évoqué ces statues pleines de légendes et de mystères.
Pourquoi des hommes ont-ils sculpté des Vierges foncées ? D’où provient leur vénération, voire leur adoration mystique ?
Quatre hypothèses ont été retenues au fil des siècles sur l’origine du teint basané, quasi noir, de certaines Vierges ? Alors, Vierges Noires authentiques ou non ?
Au Moyen Âge, la Vierge était considérée comme la matrice, l’athanor, alliant fécondité et fertilité : « Elle est le ventre du monde et de l’univers », disait-on.
Elle fut même désignée comme la « Terre-Mère » permettant à l’homme de se transformer : mourir pour renaître.
Ainsi, Isis, déesse égyptienne symbolisant l’épouse et la mère idéale, était très vénérée à travers toute la Gaule. À Chartres, par exemple, un pèlerinage à une Vierge existait bien avant l’ère chrétienne et même avant l’époque des Celtes. Une Vierge devant enfanter (Virgini pariturae) y aurait été adorée. Une Vierge Mère – et noire – faisant de nombreux miracles : elle ressuscitait des morts, donnait ou redonnait la parole aux muets, éloignait la peste, rendait invisibles les prisonniers désirant échapper à la torture, elle pouvait, aussi, faire cesser la stérilité des femmes…
Quatre hypothèses sont donc retenues pour la représentation des Vierges Noires :
- Un noircissement accidentel ou délibéré : exposition dans des endroits enfumés par les bougies, les cierges, l’encens, accumulation de poussières, altération ou transformation du bois, construction dans une matière noire (ébène, cèdre, bois exotique…) ou facile à noircir comme le poirier.
- Un appel à l’aide céleste de la part de fidèles : au Moyen Âge, la peste faisait des ravages énormes parmi les populations. Cette maladie infectieuse et extrêmement contagieuse donnait au malade un teint grisâtre, voire noir, d’où le terme de « peste noire ». Il se dit que des artisans confectionnèrent des statues de la Vierge en bois foncé pour lui rappeler le drame vécu par de nombreuses personnes et, surtout, pour lui demander d’intercéder en leur faveur auprès de son Fils qui, affirme-t-on, ne peut rien lui refuser. La Vierge Noire était alors la représentation symbolique d’une pestiférée.
- Une représentation (noire comme la terre) antique : le culte de la Terre-Mère se retrouvait dans de nombreuses déesses païennes, il n’est pas exclu qu’on le christianisa.
- Une origine orientale : le portrait de la mère de Jésus aurait été tiré d’après nature par l’évangéliste Luc, selon une légende. Il aurait reproduit avec exactitude le type de femmes de Judée et de Palestine qui, comme on le sait, ont le teint très basané. Le « Cantique des cantiques » de Salomon est précis à ce sujet. Ainsi, on lit dans « La Bergère dans la Vigne » une description qui corrobore la thèse de l’origine orientale de la représentation de la Vierge en tant que femme noire, noire dans le sens de hâlée par le soleil :
« Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem,
comme les tentes de Kédar,
comme les pavillons de Salomon.
Ne prenez pas garde à mon teint hâlé :
C’est le soleil qui m’a brunie. (…) »
Représentation visible d’un monde invisible, plusieurs critères d’authenticité ont été dégagés, par certains spécialistes, à l’encontre des Vierges Noires : il s’agirait de Vierges en majesté, les statues – toujours en bois – authentiques dateraient du Xe (mais, surtout, du XIIe) au XIIIe siècle, la représentation de la Vierge primerait sur celle de Jésus, ce dernier enseignerait généralement, tous les sanctuaires qui accueillaient des Vierges Noires auraient été érigés sur des lieux de culte antérieurs au christianisme, la place originelle des statues étant dans une crypte, selon eux.
Néanmoins, des Vierges Noires ne répondraient pas à ces critères rigoureux et n’en connaissaient pas moins une dévotion assez extraordinaire.
« L’adage prétendant que l’habit ne fait pas le moine, est-il à prendre en considération dans ce cas d’espèce ? » avais-je posé comme question.
Je n’ai pas changé d’avis à ce sujet !
Et la « Vierge Noire » de Mézières ?
Pour Jacques Huynen, « Mézières était la ville du dieu Macer (christianisé en « saint Masert », selon certaines sources), et les Ardennes françaises ont conservé des traces nombreuses d’une présence druidique sous forme de menhirs et de dolmens, comme dans l’ancienne toponymie.
L’église Notre-Dame (XVIe siècle) est un bel édifice flamboyant qui a remplacé un sanctuaire roman déjà consacré à la Vierge ».
Lieu de pèlerinage à Marie, cette église a reçu du pape Pie XII, le 15 août 1946, le titre de basilique mineure. Elle est ornée de vitraux contemporains (68 verrières de plus de 1 000 m²).
Quant à la Vierge Noire, les Huguenots auraient fait « périr » la statue et les tentatives de reconstitution sur base d’une ancienne gravure laisseraient pantois, dit-il, voici plus de quatre décennies.
Dès lors, selon cet auteur, la vénération à la Vierge Noire de Mézières se porterait sur une image du XVIIe siècle avec le visage foncé de Marie et la carnation pour Jésus.
La Vierge porte une grappe de raisin, symbole de vie et de résurrection.
Grappe qui aurait été volée par un officier allemand lors de la Première Guerre mondiale afin de l’offrir à une jeune fille de la ville, mais elle la restitua aussitôt à la statue !
Avant cela, lors du siège de 1870, la statue et un vitrail de la Vierge Noire furent épargnés alors que leur environnement immédiat souffrait des bombardements.
Plusieurs endroits de Charleville-Mézières sont recommandés par l’Office de Tourisme local. Parmi eux :
. Le Grand Marionnettiste : automate devenu une attraction incontournable avec, toutes les heures, un petit spectacle de marionnettes à fils où un « moment unique ».
Trois coups et une musique retentissent…
« Nobles Dames, Messeigneurs, mes gentils damoiseaux,
Il est 11 heures…
Voici le Chevalier Bayard… »
Le Chevalier Bayard était valeureux et malin au point de semer la zizanie chez ses ennemis, lorsqu’il leur fit croire à de grands renforts imminents : il sauva Mézières en 1521.
Ensuite, à chaque heure, au « Grand Marionnettiste », c’est une étape supplémentaire de la saga des Quatre Fils Aymon.
. La Basilique de Charleville-Mézières : avec ses vitraux modernes, une œuvre ordonnée autour de la dualité « Vierge Noire » et « Vierge de Lumière » (voir ci-dessus).
Dans le fond de l’église, une information avise le passant qu’il y a des « graffitis anciens » gravés sur le mur.
Il s’agit aussi de témoignages édifiants, selon moi, telle cette annonce qu’an l’an 1499 fut posée la première pierre de cette église…
Églises, cathédrales, basiliques…
Quelle différence y a-t-il entre une église et une basilique, celle de Mézières étant proclamée comme telle en 1946 ?
C’est l’occasion de résumer quelques définitions à ce sujet :
– La chapelle est une petite église, non paroissiale, parfois desservie par un chapelain, cela peut être, aussi, un sanctuaire privé (dans un château, par exemple) ou un oratoire destiné ou non au culte. Enfin, une chapelle peut également être une annexe d’église pourvue d’un autel.
– L’église est un temple où est célébré un culte. Elle est desservie par un curé parfois assisté d’un ou de plusieurs vicaire(s). Il existe quatre sortes d’églises :
- L’église paroissiale.
- L’église décanale (siège d’un doyenné qui regroupe plusieurs paroisses).
- L’église abbatiale (église d’une abbaye).
- L’église conventuelle (communauté religieuse).
– La collégiale est une église qui possède un chapitre – collège de chanoines – sans avoir un siège épiscopal (qui appartient à l’évêque).
– La cathédrale est une église épiscopale ou principale d’un diocèse.
– La basilique : originellement, il s’agit d’un édifice romain en forme de grande salle rectangulaire, se terminant par une abside et abritant les diverses activités des citoyens. Les églises chrétiennes bâties sur le même plan furent appelées basiliques, mais la basilique est un titre accordé par le pape et donné à une église privilégiée. On distingue deux types de basiliques : les basiliques majeures pourvues d’un autel papal et les basiliques mineures qui en sont dépourvues.
Il y a que quatre basiliques majeures au monde, elles sont toutes à Rome, dite la « Ville Sainte » : Saint-Pierre (Vatican), Saint-Jean de Latran, Sainte-Marie-Majeure et Saint-Paul (sur la voie Ostienne).
Il n’y a quelques basiliques mineures dans les Ardennes, Notre-Dame d’Espérance à Charleville-Mézières, Saint-Sauveur à Prüm, Saints-Pierre et Paul à Saint-Hubert… et en Champagne-Ardenne, à Troyes, Chaumont, L’Épine…, et aux frontières des Ardennes belges et luxembourgeoises, à Aubel, Chaudfontaine, Echternach…
. La Place Ducale (XVIIe siècle) : sœur jumelle de la Place des Vosges de Paris.
. Les Remparts de Mézières ou plane le souvenir de « Bayard, le chevalier sans peur et sans reproche ».
Le Dormeur du Val
. Arthur Rimbaud (1854-1891) : « Il faut être absolument moderne » ! Ce génie précoce à un musée situé dans le Vieux Moulin sur la Meuse et la Maison des Ailleurs, demeure habitée par le poète et les siens où l’on propose un « voyage » de l’auteur à travers textes et images.
Parmi ses écrits, « Le Dormeur du Val » est un poème qui a frappé beaucoup de générations :
« C’est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. »
Et, encore, à Charleville-Mézières, la Tour du Roy, la Macérienne (usines), la Porte de Bourgogne, le Musée de l’Ardenne… et quelques documents pour davantage illustrer cette splendide cité : détails de la Fontaine Charles de Gonzague, statue près de la Place Ducale, vitrail à la Basilique et vestiges à Mézières.
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