samedi, novembre 23, 2024

Paludisme : une molécule ancestrale brevetée par des chercheurs français

En plein débat sur la biodiversité, des chercheurs français ont breveté une molécule connue depuis des siècles pour ses vertus contre le paludisme. Un cas de biopiraterie suivi de près par les associations.

La loi sur la biodiversité a été votée en première lecture en janvier au Sénat. Parmi les dispositions de cette loi, un amendement prévoit de limiter le brevetage du vivant. Une bonne nouvelle pour les associations de l’environnement, mais entachée par une autre annonce. Des scientifiques de l’Institut de Recherche pour le Développement, l’IRD, ont déposé un brevet sur une molécule prometteuse pour soigner le paludisme. Problème : cette plante, la Quassia Amara, est utilisée depuis des siècles en Guyane et dans les régions tropicales pour ses vertus médicinales contre le paludisme. Pour les associations, ce brevetage du vivant tombe mal. Elles ont déposé un recours auprès de l’Office Européen des Brevets (OEB).

  • Avec Marion Veber, chargée de mission Droits des peuples à France Libertés, et Justine Richer, chargée de mission Biropiraterie à France Libertés.

La « découverte » de l’IRD n’en est pas vraiment une. Qu’a fait exactement l’Institut de Recherche pour le Développement ?

  • Justine Richer.

« Dans une recherche pour trouver un médicament contre le paludisme, l’IRD, l’Institut de Recherche pour le Développement, est allé en Guyane française. Ils ont questionné les peuples autochtones sur leurs remèdes utilisés contre le paludisme.  A partir de leurs réponses, ils ont pu identifier une plante, la Quassia Amara, comme étant un traitement très efficace contre le paludisme. Mais cette plante et son activité antipaludique sont connues depuis des générations par les peuples autochtones guyanais. Par le brevet, l’IRD ne fait que souligner scientifiquement l’activité antipaludique de la plante. »

Ce brevetage va avoir des conséquences sur les populations locales.

  • Marion Veber.

« C’est un remède traditionnel très rependu en Guyane, utilisé souvent sous forme de tisane. En déposant un brevet, l’IRD s’accapare un savoir traditionnel. Il détiendra, une fois le brevet délivré, un monopole d’exploitation commerciale, alors même que les populations autochtones n’ont pas été reconnues comme à l’origine de la recherche de l’IRD. Si les communautés locales avaient voulu déposer un médicament, elles ne pourront désormais plus le faire. Mais au delà du monopole d’exploitation commerciale, cela pose la question de la culture de la Quassia Amara. Dans le cas où l’IRD aurait un partenariat avec un laboratoire pharmaceutique pour développer le médicament, on pourrait s’attendre à une augmentation de la culture de cette plante. Cela poserait des questions de conservation de la plante, d’équilibre des écosystèmes, et d’inflation des coûts de la plante. »

Le dépôt d’un brevet répond à des critères très précis. Pourquoi France Libertés s’oppose à celui-ci ?

  • Justine Richer.

« Notre opposition contre le brevet déposé à l’Office Européen des Brevets porte sur les critères même de brevetabilité. Normalement, la délivrance d’un brevet dépose sur trois critères : la nouveauté, l’inventivité et l’application industrielle. Or, les deux premiers critères ne sont pas du tout respectés. Les chercheurs de l’IRD ont mobilisé des connaissances traditionnelles ancestrales largement connues et utilisées par les peuples autochtones de Guyane. »

Depuis la mobilisation de France Libertés et les révélations de Mediapart, les réactions sont nombreuses en Guyane, du coté des collectivités et de celui des associations.

  • Marion Veber.

« La collectivité territoriale de Guyane a réagi par un communiqué où elle fait part de sa surprise quant aux pratiques de l’IRD en Guyane. Les parlementaires de Guyane, Mme Chantal Berthelot à l’Assemblée National et Monsieur Antoine Karam au Sénat, ont demandé à l’IRD de renoncer à ce brevet afin que l’IRD témoigne de sa bonne foi, puisqu’il s’agit d’un institut qui travaille pour le développement. Il faut souligner que l’opposition n’a pas pour but de faire cesser les recherches de l’IRD contre le paludisme. Nous soutenons ces recherches. Mais l’idée est de souligner que, dans la forme, l’IRD devrait appliquer des pratiques plus éthiques envers les peuples autochtones. »

© IRD
© IRD

L’IRD a réagi à ces révélations. France Libertés les a rencontrés.  Que dit l’IRD et quelles actions vont maintenant être menées ?

  • Justine Richer.

« Il y a eu plusieurs choses évoquées, comme l’idée d’une conférence publique, organisée par France Libertés et l’IRD, pour mettre en débat cette question du lien entre la recherche et les peuples autochtones. Cette conférence pourrait avoir lieu à l’Assemblée ou au Sénat au printemps dans le but de sensibiliser le grand public. Cela poserait la question de l’évolution nécessaire des pratiques de la recherche vers plus de respect envers les communautés locales, dans un souci du respect des principes internationaux. Ces principes sont l’information des peuples autochtones concernant les recherches, l’acquisition, leur consentement et le partage des avantages. Ce sont les trois grands principes à respecter par la recherche et le secteur privé dès lors qu’il y a une interaction avec les peuples autochtones. L’IRD travaille également avec les différentes parties en Guyane, collectivités, parlementaires et peuples autochtones, pour trouver un protocole d’accord afin de sortir de cette crise par le haut et d’avoir des partages d’avantages. »

Pour en savoir plus :

[youtube]https://youtu.be/ltfH6_QgwL4[/youtube]

 

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