Dans quelques jours, une proposition de loi sur le droit à l’eau pour tous arrivera en discussion à l’Assemblée Nationale. Après la validation par le Conseil Constitutionnel de la loi Brottes interdisant les coupures d’eau en France, c’est une étape supplémentaire dans le combat de France Libertés et de la Coordination Eau ile de France pour que l’eau soit considérée comme un bien vital premier. Pourtant, malgré cette loi, les coupures d’eau continuent.
Depuis le mois de mai et la décision prise par le Conseil Constitutionnel on aurait pu croire que s’en était fini des coupures délibérées et que la loi l’emporterait sur les intérêts des entreprises de l’eau. Pourtant il n’en est rien. Mi-octobre c’est la Saur qui a été une nouvelle fois condamnée.
- Emmanuel Poilane, le directeur de la Fondation France Libertés
« C’est l’aboutissement d’une longue procédure avec une condamnation très forte de 16000€. C’était important de montrer que les juges étaient toujours dans la même sensibilité par rapport à la question des coupures d’eau et que les condamnations étaient toujours violentes. Ce qui nous inquiète, c’est que depuis la décision du Conseil Constitutionnel fin mai 2015, on a reçu plus de deux cent témoignages de familles victimes de coupures d’eau ou de réduction de débit. Les pratiques ne changent pas. Les grandes multinationales, et notamment la Saur et Véloia, continuent des pratiques illégales. »
Malgré la loi, malgré les combats de France Libertés et les saisines des tribunaux, les coupures d’eau se poursuivent. Les grandes entreprises de l’eau continuent à braver la loi en toute impunité. Elles ne craindraient donc pas les condamnations ?
« Elles ne craignent pas les condamnations parce qu’elles savent pertinemment que les gens les plus démunis n’ont pas la capacité de se porter en justice. Ils se sentent fort dans le fait d’être riche. Quand il y a une condamnation, ils payent et ils continuent des pratiques qu’ils font subir à des milliers de familles. Nous, nous n’avons pas la capacité de porter tous les cas devant la justice. Donc on attendait de la décision du Conseil Constitutionnel une mise au pas des multinationales, mais on voit qu’il n’en est rien. Pour eux c’est la politique de la force et la politique de l’argent. Et la politique de la loi ne les intéresse pas. »
Les témoignages se multiplient, mais pour quelques procès il reste encore pas mal de cas non traités. Les entreprises jouent là-dessus et sur la méconnaissance de la loi de la part des citoyens. Et l’impression est forte que les élus ne bougent pas pour que la loi s’applique.
« C’est pour çà que l’on engage tous les citoyens qui sont victimes de coupures d’eau ou de réduction de débit à témoigner sur notre site internet. Et on engage tous les élus à prendre contact avec leur délégataire pour que ces pratiques cessent. Car la mise en œuvre du service public est bien de la responsabilité des élus et non pas des entreprises. Si les élus tapent du poing sur la table, changent le règlement de service pour bien préciser les choses et pour que l’accès à l’eau en France soit sacralisé, ils peuvent le faire. La loi le permet. Ils peuvent faire en sorte que la loi soit respectée. »
Un des leviers est d’aller encore plus loin sur le plan législatif. Le droit à l’eau et à l’assainissement est reconnu depuis 2010 par les Nations Unies comme un droit fondamental de l’Homme. La proposition de loi sur le droit à l’eau pour tous, portée par France Libertés avec d’autres associations, arrive dans quelques jours en discussion à l’Assemblée Nationale. Que préconise-t-elle ?
« C’est une proposition de loi portée par une quarantaine d’ONG française, très bien accueillie par les députés de cinq groupes parlementaires, de l’UDI au Front de Gauche. Il y a un vrai travail consensuel.
Le texte dit plusieurs choses. D’abord que le droit à l’eau pour tous est garanti par l’Etat. C’est essentiel puisque la France à ratifié en juillet 2010 la déclaration devant l’Assemblée Générale des Droits de l’homme sur le droit à l’eau pour tous. Il faut que nos lois mettent en application cette signature de la France devant l’Assemblée Générale des Nations Unies.
Ensuite, le texte dit qu’il faut remettre en marche des points d’eau gratuits dans toutes les villes et les villages, des toilettes gratuites pour les villes de plus 3500 habitants, et des bains douches accessibles aux plus démunis pour les villes de plus de 15000 habitants. C’est remettre l’eau au cœur de la cité. C’est indispensable pour comprendre que nos sociétés fonctionnent autour de l’accès à l’eau. L’eau c’est la vie et cela doit être apparent dans le mode de fonctionnement de nos sociétés.
C’est aussi la mise en place d’un fond d’aide national pour faire en sorte que les deux millions de familles en très grande précarité soient aidées préventivement et ne soient pas stigmatisées. Ce fond national sera alimenté par une contribution solidaire pris sur l’eau en bouteille. Le paradoxe c’est que l’on est d’accord pour payer l’eau en bouteille jusqu’à mille fois plus cher que l’eau du robinet. Mais cette eau en bouteille ne participe aucunement à la solidarité pour l’accès à l’eau en France. Avec une simple contribution solidaire d’un centime par bouteille d’eau, on peut réunir les 50 millions d’euros nécessaires pour aider les familles démunies pour leur accès à l’eau. »
Cette proposition de loi aura aussi son utilité pour faire plier les entreprises de l’eau.
« Elle a une nécessité pour remettre l’accès à l’eau dans une dynamique sociale et la faire sortir de la dynamique économique dans laquelle elle est enfermée. On est confronté à des acteurs politiques et économiques qui sont obnubilés par leur profit et par les équilibres financiers et qui en oublie l’importance sociale de l’accès à l’eau.
Le site Service Public publiait encore il y a peu une note complètement erronée par rapport à la loi, affirmant que les réductions de débit sont autorisées. Ce qui est faux. On a besoin à tout moment de rappeler à notre gouvernement, à nos élus et aux acteurs économiques de l’eau que la loi est claire. Si cette loi est claire c’est pour permettre à chacun de pouvoir vivre chez lui avec un accès à l’eau qui puisse lui permettre de boire, de s’alimenter, et de vivre dignement. »
La proposition de loi sera étudiée le 4 novembre en commission développement durable de l’Assemblée Nationale, avec l’espoir d’être mise à l’agenda en février prochain.
Pour aller plus loin :
- Coupures d’eau : une multinationale condamnée à 16000€ d’amendes
- Alerte coupure d’eau : déposez vos témoignages
- Halte aux coupures d’eau
- Ce que dit la loi : les multinationales dans l’illégalité
- En justice contre les coupures d’eau
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