samedi, novembre 23, 2024

Le bus, ce véhicule extraordinaire

Un bus fait une embardée, passe par-dessus le parapet et chute d’un pont routier ; l’accident semble inévitable, la mort certaine ; sauf qu’un curieux élément vient stopper la chute de l’engin : de quoi s’agit-il ? Un arrêt de bus. Nous sommes ici dans les pages d’une BD dont je voudrais vous parler; une fois n’est pas coutume, je vais profiter de cette chronique habituellement consacrée aux dernières actus sur les transports pour vous faire partager un récent coup de cœur ; une bande dessinée intitulée le bus. Ecrite et dessinée par Paul Kirchner, elle est parue en 2012 aux éditions Tanibis. Ce livre est en fait un recueil de strips de 6 à 8 cases dans un format à l’italienne publié à l’origine dans les années 1980 par le magazine américain Heavy Metal, l’équivalent de la revue française Métal Hurlant. Le personnage principal de cette BD, c’est un bus, tout ce qu’il y a de plus ordinaire, avec ses situations les plus banales ; attendre le bus, payer son ticket, s’asseoir avec les autres passagers, descendre du bus, voici de quoi parle le dessinateur ; seulement il détourne ce cadre plein de contraintes grâce à des inspirations lorgnant vers les surréalistes Magritte ou Dali.

Le quotidien prend une tournure rocambolesque avec Paul Kirchner
Le réel prend une tournure rocambolesque avec Paul Kirchner

Paul Kirchner profite de la banalité du quotidien d’un homme bedonnant et chauve, monsieur tout le monde par excellence, pour introduire à chaque fois une variante inattendue ; dit comme cela, l’intérêt peut vous paraître mince, voire anecdotique, mais l’exercice imposé aboutit à des détournements aussi invraisemblables que passionnants; Ainsi Kirchner répond aux questions que personne ne se pose, il imagine la vie privée du bus et son histoire secrète. Chez Kirchner, ce monsieur tout-le-monde qui attend un bus ne s’étonne pas de la direction écrite sur le haut du pare-brise, même si elle est intitulée : « ailleurs ». Distorsion de l’espace-temps, réinvention d’un langage, l’auteur nous fait voyager en Absurdie. Toutes ces situations délirantes pourtant servies par un dessin noir et blanc, clair et réaliste font penser forcément aux Idées Noires de Franquin. De mise en abimes en scénarios catastrophes, Paul Kirchner se permet tous les décalages de sens pour triturer la réalité quotidienne incarnée par le bus. Il s’autorise même une reconstruction de l’histoire de l’autocar ; faisant comme si tous les enfants du monde rêvaient de devenir chauffeur de bus ; comme si le bus avait été sacré homme de l’année par le magazine Time ; et que les caractéristiques du bus devraient être connues comme son environnement, sa façon de procréer, de s’alimenter ; Kirchner se fait visionnaire, il imagine même un bus gratuit qui serait financé par les agents immobiliers et autres vendeurs d’assurance qui pourraient se servir de ce lieu comme d’un espace de racolage, en échange de la gratuité du trajet ; bref, Kirchner pousse le bouchon loin, et c’est là qu’il séduit ; plus il nous entraîne dans cet univers onirique où le bus est tantôt une arche de Noé tantôt le Titanic, et plus il nous renvoie cette image négative et pénible d’usager de transport en commun que nous sommes. Le temps de cette BD, à lire dans le bus bien entendu, on voyage dans notre quotidien à travers une fantaisie plaisante ; et on se pose bien sûr cette question dont la réponse n’est plus du tout évidente : est-ce bien nous qui prenons le bus, ou l’inverse ? Jean-Brice SENEGAS

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