« Littérature sans Frontières » est une chronique de Pierre Guelff.
Victor Hugo visita et habita à plusieurs reprises la Belgique. Lors d’un séjour, il se rendit à l’abbaye – déchiquetée – de Villers-la-Ville, un site construit à la demande de saint Bernard qui, en janvier 1147, conseilla à la petite communauté monacale locale de croître. Après une longue période de prospérité, ce fut le déclin et les ruines témoignent des mutilations irréversibles infligées à la majestueuse église et à ses dépendances. Victor Hugo découvrit en ces lieux une geôle située près du palais abbatial et de la cour d’honneur. Il en fit un cachot dans « Les Misérables ». D’abord niée, puis reconnue du bout des lèvres, cette histoire véridique est aussi liée à une terrible colère de l’écrivain.
Ce fut, pour moi, l’occasion de réaliser deux émissions, une télévisée et une radiodiffusée dont voici quelques passages choisis :
– Cette ancienne abbaye cistercienne inspira deux attitudes à Victor Hugo.
– Quelles attitudes ?
– « Je suis venu, j’ai vu, j’ai pleuré ». Ce fut la première attitude de Victor Hugo qui poussa un véritable coup de gueule face aux graffitis qui étaient gravés sur les murs de cette vénérable abbaye. Paradoxalement, il commit lui-même un graffiti où il traita les gens de sots et de parvenus :
«… ô pitoyable engeance
qui promenez ici votre sotte ignorance
Et votre vanité !
Cessez de conspuer cette admirable ruine
En y bavant vos noms qui, comme une vermine
Souillent sa majesté ! »
– Et la deuxième attitude ?
– Dans l’abbaye de Villers-la-Ville, il y avait une prison qui accueillait, si j’ose dire, des détenus laïcs. Victor Hugo prit exemple de cette prison pour décrire les oubliettes dans « Les Misérables », là, où les murs suintaient, où la pierre était considérée comme une pierre tombale, mais à la différence qu’au lieu d’avoir un mort, il y avait un vivant…
Néanmoins, la réalité dépasse parfois la fiction, a fortiori lorsque l’écrivain décrivit l’une et l’autre, lui qui, toute sa vie, lutta pour la liberté et contre l’obscurantisme. Des sujets malheureusement toujours d’actualité !
– Quelle est cette description de la « prison » de Victor Hugo ?
– « C’est là du Moyen Âge que tout le monde a sous la main, à l’abbaye de Villers, le trou des oubliettes au milieu du pré qui a été la cour du cloître, et, au bord de la Dyle (il s’agit de la Thyle), quatre cachots de pierre, moitié sous terre, moitié sous l’eau. C’étaient des in-pace. Chacun de ces cachots a un reste de porte de fer, une latrine, et une lucarne grillée qui, dehors, est à deux pieds au-dessus de la rivière, et, dedans, à six pieds au-dessus du sol… Le sol est toujours mouillé. L’habitant de l’in-pace avait pour lit cette terre mouillée. Dans l’un des cachots, il y a un tronçon de carcan scellé au mur ; dans un autre, on voit une espèce de boîte carrée faite de quatre lames de granit, trop courte pour qu’on s’y couche, trop basse pour qu’on s’y dresse. On mettait là-dedans un être avec un couvercle de pierre par-dessus. Cela est. On le voit. On le touche. Ces in-pace, ces cachots, ces gonds de fer, ces carcans, cette haute lucarne au ras de laquelle coule la rivière, cette boîte de pierre fermée d’un couvercle de granit comme une tombe, avec cette différence qu’ici le mort était un vivant, ce sol qui est de la boue, ce trou de latrines, ces murs qui suintent, quels déclamateurs ! »
En sorte, la visite de Victor Hugo qui débuta le 2 septembre 1862 et dura trois jours (il logea à l’hôtellerie « Les Ruines » situé non loin du site et aurait même bu du vin du Rhin !), bref, cette visite peut se résumer en trois verbes : Venir, voir et pleurer.
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