« Littérature sans Frontières » est une chronique de Pierre Guelff.
Voici la quatrième chronique consacrée à Victor Hugo et à mes pérégrinations dans les pas et dans les pages de l’illustre écrivain qui sillonna, en touriste ou en exilé politique, maintes régions d’Europe. Pour la présente rubrique, voici Ault où Victor Hugo est omniprésent. L’écrivain et poète serait certainement déçu, voire irrité, de constater que cette petite ville a perdu de son relatif charme d’antan et que des quartiers entiers sont menacés par l’effondrement de falaises, situation dramatique fort probablement due au réchauffement climatique, selon divers spécialistes.
Néanmoins, ce type de phénomène semblait déjà connu de l’écrivain et de ses contemporains : « La mer ronge le Bourg d’Ault. Il y a cent cinquante ans, c’était un bien grand village qui avait sa partie basse abritée par une falaise au bord de la mer. Mais un jour la colonne de flots qui descend la Manche s’est appuyée si violemment sur cette falaise qu’elle l’a fait ployer. La falaise s’est rompue et le village a été englouti. Il n’était resté debout dans l’inondation qu’une ancienne halle et une vieille église dont on voyait encore le clocher battu des marées quelques années avant la Révolution, quand les vieilles femmes qui ont aujourd’hui quatre-vingts ans étaient des marmots roses. Maintenant on ne voit plus rien de ces ruines. L’océan a eu des vagues pour chaque pierre ; le flux et le reflux ont tout usé, et le clocher qui avait arrêté des nuages n’accroche même plus aujourd’hui la quille d’une barque. »
Et que vit Victor Hugo lors de son séjour à Ault ? « Depuis la catastrophe du bas village, tout le Bourg d’Ault s’est réfugié sur la falaise. De loin tous ces pauvres toits pressés les uns sur les autres font l’effet d’un groupe d’oiseaux mal abrité qui se pelotonne contre le vent. Le Bourg d’Ault se défend comme il peut, la mer est rude sur cette côte, l’hiver est orageux, la falaise s’en va souvent par morceaux. Une partie du village pend déjà aux fêlures du rocher. »
Ici, on évoque, bien sûr, Victor Hugo, mais, aussi ces serruriers qui, a défaut d’être pêcheurs ou marins, avaient choisi le travail du métal pour subvenir à leurs besoins. Ils le faisaient tellement bien, que leur commerce était connu dans toute la France : « Ils se vengent de Neptune en lui faisant un tapage infernal aux oreilles, écrivit Victor Hugo. Il s’envole perpétuellement du Bourg d’Ault une noire nuée de serrures qui va s’abattre à Paris sur vos portes, mesdames. »
L’écrivain souligna, aussi, quelques maisons curieuses, des sculptures étranges, des masques grotesques, des figures pleines de style, des rinceaux exquis, « on n’a dans la tête qu’une musique de limes, de scies et d’enclumes, on se retourne, et voilà que l’art vient s’épanouir sur la poutre d’une masure, et vous sourit. Il est vrai que l’océan est là. Partout où est la nature, sa fleur peut pousser, et la fleur de la nature, c’est l’art. » Hélas, cette activité de la serrurerie déclina à son tour… et, à l’heure actuelle, Ault compte beaucoup sur le tourisme pour retrouver le lustre d’antan. A fortiori, quand l’écrivain déclara, avant de quitter les lieux, « cet endroit est beau. Je ne pouvais m’en arracher »…
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